lundi 5 octobre 2015

Comment devenir gourou ? Inch Allah... (d’après Psychologie des foules de Gustave Le Bon)


Abou Bakr al-Baghdadi a beau se dire descendant du prophète Mahomet, de la lignée des Abbassides, et s’autoproclamer « calife », il n’en demeure pas moins un homme plus inspiré par les grands principes de la manipulation des foules que par la parole divine.

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Capture d'écran de la vidéo du prêche d’al-Baghdadi publiée le 6 juillet 2014

 

L’héritier du prophète

  Le 29 juin 2014, Abou Bakr al-Baghdadi s’autoproclame calife, c’est-à-dire chef suprême, tant spirituel que temporel, de la communauté musulmane, et devient « calife Ibrahim ».Ainsi, il reprend son prénom d’origine, puisqu’il est né Ibrahim Awad Ibrahim Al-Badry, après s’être fait appeler Abou Bakr al-Baghdadi al-Husseini al-Qurashi, al Qurashi faisant référence au clan du prophète. Le titre de calife, le mot arabe « khalifa » signifiant « successeur », lui confère donc l’aura du prophète Mahomet en l’intégrant à sa lignée, dont son nom d’emprunt fait mention.

 

La méthode infaillible pour devenir un gourou 

 au nom d’Allah en 5 leçons




Outre cet héritage bricolé, cette résistible ascensioni répond à un mécanisme devenu classique depuis sa théorisation au XIXe siècle par Gustave Le Bon. En effet, dès 1895, dans Psychologie des foules, ce médecin postule que le groupe n’est pas la juxtaposition d’individus, mais que le sentiment communautaire lui confère une « âme » propre. Cette théorie devient vite très populaire auprès des dirigeants des états démocratiques, mais aussi des dictatures. Manifestement, elle n’est pas étrangère non plus à al-Baghdadi.


Etape 1 : Avoir une révélation


« Le meneur a d’abord été le plus souvent un mené hypnotisé par l’idée dont il est ensuite devenu l’apôtre. Elle l’a envahi au point que tout disparaît en dehors d’elle, et que toute opinion contraire lui paraît erreur et superstition. »ii 

Ainsi, Gustave Le Bon nous explique qu’un meneur n’est pas forcément particulièrement brillant, mais qu’il a une foi inébranlable en sa croyance. Al-Baghdadi, même s’il s’impose comme un guide spirituel est avant tout un homme d’action. Ce qui le motive fondamentalement ce n’est pas la foi. En effet, quel que soit les fragilités et les mystères que posent sa croyance, il ne peut les interroger au risque de remettre en question le système sur lequel sa vie repose toute entière. La radicalisation de sa pensée en est donc la clé de voute.
  
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Infographie pro-djihadiste diffusée sur Twitter

Etape 2 : Identifier sa « foule-cible »


Tout d’abord, la foule, telle que décrite par Le Bon, n’est pas un rassemblement dû au hasard, mais une réunion d’individus soumis à une forte stimulation émotionnelle, et donc en état de suggestibilité.

Al-Baghdadi n’a pas eu à chercher « sa » foule très loin : l’Irak après le joug de la dictature de Saddam Hussein et depuis l’intervention des Etats-Unis est à feu et à sang et la guerre civile sévit en Syrie. Nombre d’esprits échauffés, épuisés ou encore déstabilisés par le chaos sont prêts à recevoir un message promettant l’ordre, la stabilité et la fraternité.
De la même manière, les jeunes européens qui ne trouvent pas leur place au sein de leur communauté sont séduits par l’aventure du djihad qui, ils l’imaginent, donnera un sens à leur vie, voire à leur mort. Seuls devant leur écran, ils se laissent envahir par les produits de propagande que DAESH met en ligne avec leur iconographie, leur vocabulaire et la promesse de rejoindre une société soudée qui construit son idéal avec une détermination qui excuse les pires violences.



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Infographies pro-djihadistes diffusées sur Twitter

Etape 3 : Bâtir sa doctrine

« Créer la foi, qu’il s’agisse de foi religieuse, politique ou sociale, de foi en une œuvre, en une personne, en une idée, tel est surtout le rôle des grands meneurs. »

Là non plus il n’est pas question de débattre, d’argumenter ni de philosopher. Al-Baghdadi entend imposer une pratique religieuse à la pureté mythique, qu’il situe au temps de la dynastie des Abbassides, qui a régné de 750 à 1258, et considéré comme l’âge d’or de l’Islam. Il sert ainsi aux égarés, malheureux, faibles… un référentiel et un modèle comportemental fonctionnel qui les inscrit dans une dynamique salutaire en les dispensant de réfléchir à leur façon d’être au monde. Le despotisme du leader n’apparaît donc pas comme un frein pour ses disciples mais comme une rigueur extrême et rassurante, révélatrice de son orthodoxie.
 
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Infographie diffusée sur Twitter 

Etape 4 : Induire son message par l’affirmation et la répétition

« L’affirmation pure et simple, dégagée de tout raisonnement et de toute preuve, constitue un sûr moyen de faire pénétrer une idée dans l’esprit des foules. Plus l’affirmation est concise, dépourvue de preuves et de démonstration, plus elle a d’autorité. »

Le discours de Al-Baghdadi du 29 juin 2014 ne produit pas de preuves mais repose autour d’une formule magique au caractère universel « Allah a dit » suivie une affirmation rendue incontestable par l’autorité du calife.

« Cette dernière n’acquiert cependant d’influence réelle qu’à la condition d’être constamment répétée, et le plus possible, dans les mêmes termes. »

Ainsi, le vocabulaire de la propagande de DAESH fait appel à un corpus de mots limités, on y retrouve systématiquement les combattants, les mécréants, la vérité, la fraternité… De la même manière, certains thèmes sont inlassablement exploités comme la justice pour les croyants, la douceur de vie au Sham, les bienfaits de la soumission à la volonté divine contre les châtiments…

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Film de propagande djihadiste diffusé sur Twitter
  

Etape 5 : Laisser se propager ses commandements par contagion

« Dans les foules, les idées, les sentiments, les émotions, les croyances possèdent un pouvoir contagieux aussi intense que celui des microbes. »

Fort de la connaissance de ce phénomène Al-Baghdadi en démultiplie les effets par une politique de communication redoutable en mettant en ligne une multitude de produit de propagande tels que des compositions iconographiques, photographies, films, magazines en ligne…, dont les exemples fourmillent sur internet.
 
Film de propagande djihadiste diffusé sur Twitter


Prestige et prestidigitateur


 
Cette méthode étant parfaitement appliquée, Al-Baghdadi n’a plus qu’à jouir de ce que Le Bon appelle le prestige.
« Le prestige est en réalité une sorte de fascination qu’exerce sur notre esprit un individu, une œuvre ou une doctrine. Cette fascination paralyse toutes nos facultés critiques et remplit notre âme d’étonnement et de respect. »

Il distingue tout d’abord le prestige acquis qui fait référence au nom, à la fortune ou la réputation et qui est décorrélé de la valeur intrinsèque de l’individu. Ainsi, lorsqu’Al-Baghdadi se présente comme le nouveau calife et qu’il arbore sa longue barbe, son turban et son abaya, véritable uniforme du « vrai » musulman, il cultive son image de messager d’Allah.
Quant au prestige de sa doctrine, il lui fait prendre son origine dans l’histoire de l’Orient et affiche sa puissance par la propagande. A cet effet, les événements à faire connaître sont soigneusement choisis et savamment dosés entre la démonstration de l’immense fraternité qui anime les fidèles et l’impitoyable terreur qu’ils cherchent à infliger à ceux qu’ils considèrent comme leurs ennemis, c’est-à-dire les musulmans non salafistes radicaux, les juifs, les chrétiens, les homosexuels…, en diffusant des vidéos parfaitement scénarisées d’exécutions barbares dont les modes défient l’imagination.

En revanche, Al-Baghdadi ne semble pas être doté d’un exceptionnel prestige personnel que Le Bon nommerait certainement aujourd’hui le charisme. En effet, bien qu’il soit particulièrement discret, sans doute par stratégie, il a été décrit comme un étudiant médiocre qui faute d’être reçu en faculté de droit s’est tourné vers la théologie.
 
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Capture d'écran Twitter


Ainsi, le succès d’un gourou reposerait donc sur deux principes d’une grande simplicité : 
- apparaître comme l’Elu qui détient la vérité divine,
- et proposer une vision dichotomique du monde, avec ceux qui croient et seront sauvés et les autres,
ce qui permet ensuite d’être élitiste, de ne pas tolérer la controverse, d’exiger la soumission, d’annihiler les facultés de raisonnement de ses disciples, de terroriser ceux qui sortiraient de leur transe, d’éliminer ceux qui, en conscience, ne lui auraient pas fait allégeance… et de figurer dans le TOP10 des terroristes les plus recherchés, dont la capture est récompensée par 10 millions de dollars offerts par le gouvernement des Etats-Unis.


i Cf La résistible ascension d’Arturo Ui, pièce de théâtre de Bertolt Brecht de 1941 qui évoque, en la transposant, l’accession d’Hitler au pouvoir.
ii Les citations de cet article sont extraites de Psychologie des foules, Gustave Le Bon, Collection Quadrige, Editions PUF, 1963.

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