jeudi 7 janvier 2016

La manipulation mentale, arme de Daesh

La renommée de Daesh entraine de plus en plus de médias et d’experts en communication à chercher à comprendre les rouages de la propagande de ce groupe terroriste. La Mécanique Daesh propose aujourd’hui de mettre en lumière un pan de la communication du groupe encore peu discuté : la manipulation des esprits.

A l’instar des marques les plus charismatiques telles qu’Apple®, Nike® ou encore Coca-Cola®, la marque « Daesh » cultive une communication bien rodée et efficace. Cette dernière lui permet à la fois de se construire une réelle identité et de donner naissance à une communauté qui correspond au nouvel univers qu’elle entend créer.
L’objectif de communication du groupe est simple : terroriser tout en crédibilisant ses actions dans le but d’instaurer un « califat ». Daesh a bien compris que la guerre se conduit et se gagne dans les cœurs et plus particulièrement dans les esprits. Dans « L’Art de la Guerre », Sun Tzu soulignait déjà la dimension psychologique d’un conflit en indiquant notamment que l’analyse des faiblesses de l’ennemi constitue en soi une tactique guerrière. Partant de ce constat, nous ne pouvons nier la maîtrise dont fait preuve Daesh face à ces techniques de manipulation. Ne pas prendre en compte cet aspect-là conduirait à occulter un des ressorts utilisés par l’organisation, celui d’une action systématique exercée sur ses cibles afin de lui faire accepter sa conception du monde.
La propagande Daesh fascine autant qu’elle terrorise
Le succès que rencontre cette propagande n’est que le fruit de l’utilisation judicieuse de méthodes primordiales en communication : une évaluation de l’environnement physique, communicationnel et psychologique, une excellente connaissance des cibles et de leurs attentes, une maîtrise technique des outils et des codes esthétiques et l’élaboration d’un plan média. Le travail des concepteurs/rédacteurs, comme on les appelle en agences de communication, s’en trouve d’autant plus simplifié que les médias jouent le rôle de caisse de résonnance. Loin des campagnes surannées d’Al-Qaïda mettant en image des barbus enturbannés, les artistes de l’horreur ont repensé leur approche : devenir accessible aux non-initiés notamment au travers du langage et de la distorsion du religieux, établir un processus d’identification/d’appartenance, et instiller la crainte et la terreur dans le monde. La déduction des cibles se fait donc naturellement.
La première cible fait référence aux personnes susceptibles de venir grossir les rangs du groupe. Souvent en manque de reconnaissance et d’appartenance, la cible présente des besoins multiples, fréquemment lié à son sexe. Les décapitations, les exécutions et la conquête de territoires selon un style hollywoodien font figure d’épopée pour les hommes. Quant aux femmes, elles cherchent à s’accomplir en tant qu’épouse et mère au sein d’un foyer conforme à leur foi, et auprès d’un mari bon musulman se battant et mourant pour les valeurs du califat.
En s’adressant à leurs publics en utilisant leur propre langage culturel, les marionnettistes de l’épouvante exploitent la terreur populaire pour en faire le dernier produit « tendance ». Ils créent un sentiment d’appartenance par le biais de codes et de règles iconographiques qui amènent ces cibles à devenir des « adeptes », des « accros » de la marque. Daesh vend une identité, un mode de vie, une existence. De manière plus poussée, au travers de la violence, de la terreur et de la mort, l’organisation arrive à faire naître la vie et l’existence du soi. Tuer au nom d’un idéal religieux fascine car, en fin de compte, la contemplation et l’administration de la mort ne serait-il pas un bon moyen pour se sentir vivre et exister ?
La seconde cible est celle que Daesh souhaite maintenir dans la sidération. L’objectif est d’éveiller et d’entretenir une forme d’effroi face aux horreurs incompréhensibles diffusées sur la toile et commises dans nos rues. Les attentats qui ont bouleversé notre pays sont en soi un acte de propagande visant à magnifier l’ère du djihad. Le but étant d’entretenir la cible que nous sommes dans un état de tension inconfortable et de soumission. Le discours permet d’une part de construire du sens, donc des valeurs, une idéologie à suivre et la violence, quant à elle, est rationnalisée par le discours. Daesh passe par la communication et les actes de violence afin d’introduire un rapport de domination vis-à-vis des populations ciblées. Les informations sont traitées au prisme d’émotions fortes imprimant durablement les mémoires et les esprits.
Changer la vision de la réalité quotidienne
A l’instar d’une pièce de théâtrale mettant en forme l’imagination d’un metteur en scène, Daesh articule sa propagande dans le temps et dans l’espace à partir d’une réalité imaginaire qui puise sa véracité dans la réalité quotidienne. Par le biais des émotions, le groupe met en place une réalité fictive ayant pour but l’adhésion positive ou négative d’un spectateur.
En psychologie cognitive, les représentations mentales sont le résultat cognitif d’un traitement intellectuel et d’une perception de l’environnement. Le système dynamique « cognition-environnement » s’autoalimente et permet à l’individu de se faire une idée du monde qui l’entoure. Ces représentations sont donc définies comme étant un savoir, une connaissance sur une personne, un objet, un événement ou encore un symbole.
Notre cerveau ne cesse de produire des interprétations, qui, aussitôt acquises, se dressent et s’élaborent en croyances. Les représentations ci-dessous, qui sont au confluent des sens et de la mémoire, nous donnent un aperçu des représentations que peut se faire du mot « islam » un croyant modéré et un croyant extrémiste :



Les « cartes mentales » peuvent par ailleurs être utilisées au profit de la propagande en ce sens où elles représentent les connexions sémantiques entre différentes idées et les liens hiérarchiques entre différents concepts. La communication et le marketing s’appuient cette technique afin de décortiquer, de façon minutieuse, les comparaisons, évaluations, associations et combinaisons qu’effectue notre cerveau.
Les règles et les codes de la communication de Daesh sont autant de matériaux qui amèneront les individus à une cohérence interne afin de donner à la représentation une réalité efficiente. L’adhésion de l’individu amène le sujet à se repositionner face à sa réalité quotidienne. Pour Yannick Bressan, docteur en sciences humaine et chercheur en neuropsychologie cognitive et en cyber-narration, « Le sujet-dissonant, en état d’instabilité psychique, sera ainsi amené via un message (ou une action) savamment écrit et mis en scène à faire émerger par « l’adhésion émergentiste », une autre réalité (construire de toute pièce par le créateur du message) qui pourra totalement ou en partie se substituer à la réalité quotidienne du spectateur. « L’individu dissonant » trouvera ainsi, dans la réalité émergente qui a été construite à cet effet, une forme de (ré) confort dont l’esprit humain a besoin pour fonctionner correctement »1.
Daesh s’évertue donc à transcender la réalité afin d’orienter le spectateur vers un état suggestible2. Cet état de conscience modifiée permet d’impliquer l’imaginaire de la cible, de revisiter la réalité et la façon dont il la perçoit pour aboutir à l’adhésion et à la création de nouvelles croyances. « Tout cela concourt à transformer l’horreur de l’exécution en un grand spectacle déréalisé mais qui conserve malgré tout la force et la sauvagerie du réel »3.


Bibliographie :
BERNOUSSI Mohamed, FLORIN Agnès, « La notion de représentation : de la psychologie générale à la psychologie sociale et la psychologie du développement », Persée, 1995.
DURANDIN Guy, « L’information, La désinformation et la réalité », ED. Presses Universitaires de France, coll. Le Psychologue, juin 1993.
CHOMSKE Noam, HERMAN Edward, « La fabrication du consentement », Agone, 2008.
FREUD Sigmund, « Pulsions et destins des pulsions », Ed. Presses Universitaires de France, 2010.
GRAU MARTENET Christiane, « Coacher avec la PNL », Chronique Sociale, 2012.
GREEN André, « Pourquoi les pulsions de destruction ou de mort ? », Ithaque, 2010.
TZU Sun, « L’art de la guerre », Flammarion, 2006.
WATZLAWICK Paul, « La réalité de la réalité – Confusion, désinformation, communication », Poche, Avril 1984.
www.oumatv.tv, « En Islam, la vie est sacrée ! », 30 novembre 2015.
www.mediapart.fr, « Les rouages de la communication terroriste : comment comprendre les enjeux de la peur ?», Novembre 2015.
1 BRESSAN Yannick, « Daesh ou le théâtre de la mort : le pouvoir de la mise en scène dans la communication de l’Etat Islamique », CF2R, Note de réflexion n°18, avril 2015.
2 Définition www.cnrtl.fr : « Disposition psychique à se soumettre à toute suggestion. Caractère de celui qui se laisse influencer par une image, par une suggestion venue de l’extérieur. »
3 Op cit.