lundi 25 avril 2016

Quelle stratégie pour Daesh en Libye ?


Alors que Daesh essuie de nombreux revers en Irak-Syrie, les médias occidentaux et la communauté internationale font état de l’inquiétante progression du groupe terroriste sur les terres libyennes. La Libye serait un point de chute et une nouvelle tête de pont, donnant un second souffle aux intentions expansionnistes de l’organisation.
La fragilité politique, une condition nécessaire à la conquête d’un nouveau territoire
Cinq ans après la chute du dictateur Mouammar Kadhafi, les espoirs des mouvements révolutionnaires nationaux se sont transformés en chaos, enlisés par de nombreuses milices armées émergentes dans le pays. Une scission territoriale, vieille de plusieurs centaines d’années, réapparait sous le regard inquiet des Libyens combattant pour la libération. Deux parlements, deux gouvernements se disputent la légitimité de la Libye. D’un côté, situé à l’Ouest du pays, le gouvernement de Tripoli. Ce gouvernement islamiste, non reconnu par la communauté internationale, est soutenu par la coalition de milices islamistes, Fajr Libya. A sa tête, Abdelhakim Belhadj, un ancien combattant d’Al-Qaïda dont la seule motivation, sous l’ancien régime, était de destituer le colonel Kadhafi. Troquant son treillis pour le costume, Belhadj se dispute aujourd’hui le territoire libyen avec son nouvel ennemi public, le général Haftar. Ce dernier est le chef militaire du gouvernement de Tobrouk, situé en Cyrénaïque, à l’Est du pays. Issu des élections de 2014, ce gouvernement est reconnu par les principaux acteurs de la scène internationale.
Le 19 janvier 2016, un gouvernement d’union nationale se forme sous la pression de la communauté internationale. L’élite libyenne est au pied du mur. Elle doit trouver une solution pérenne face au vide institutionnel qui plonge son pays dans le chaos depuis plusieurs années. Cependant, et en dépit des injonctions internationales, le nouveau gouvernement du premier ministre libyen, Fayez el-Serra, est rejeté par les deux parlements rivaux de Tobrouk et Tripoli. Le remaniement du 14 février 2016, censé représenter les grandes factions libyennes, ne donnera guère plus d’effets : le gouvernement se trouve encore sur la sellette par l’opposition de deux membres du Conseil présidentiel. Cette ingérence politique force l’Union Européenne à adopter des sanctions à l’encontre de hauts responsables libyens accusés d’avoir commis et ordonné des actes visant à entraver l’avancée du processus politique. Ainsi, le 31 mars 2016, un gel des avoirs et une interdiction de voyager ont été adoptés à l’encontre de trois personnalités publiques libyennes.
Face à cette confusion et ce désordre, Daesh profite du chaos politique pour étendre peu à peu ses tentacules. Bien avant novembre 2014, date à laquelle Omar Al-Baghdadi revendique la présence de l’organisation en Libye, le groupe terroriste parsemait déjà ses hommes en Afrique du Nord (Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, Egypte, etc…). D’importants foyers de djihadistes en Libye, liés au groupe d’Ansar al-Charia (Al-Qaïda), connurent une histoire complexe face à l’émergence de Daesh sur leur territoire. Plusieurs s’unirent au nouveau groupe comme à Syrte, d’autres le repoussèrent aux portes de Derna. Quant aux entités restantes, elles firent « front commun contre leurs ennemis, les forces alliées du parlement de Tobrouk et le général Haftar »1.
De la même façon qu’un certain nombre de cadres du parti Baas sont partis rejoindre les membres de Daesh en Irak, plusieurs éléments de l’ancienne garde de Kadhafi se sont ralliés au groupe en Libye. La situation libyenne semble alors être atteinte par le syndrome irakien. Le but est de créer des alliances avec les diverses communautés présentes dans le pays et de s’unir avec les multiples milices armées existantes. Si les chefs de ces dernières n’acceptent pas les accords territoriaux, Daesh les intègre de force en éliminant le chef.
Mais la stratégie du groupe terroriste ne s’arrête pas aux alliances plus ou moins forcées. La Libye dispose d’une des ressources pétrolières les plus importantes d’Afrique, lesquelles sont estimées à 48 milliards de barils. En quête de nouveaux financements, Daesh précipite ses actions offensives de part et d’autre du croissant pétrolier pour pallier la baisse de revenus en grande partie imputable aux frappes de la coalition internationale au Levant. Ces attaques à répétition compromettent non seulement la stabilité économique du pays mais engendrent également des divisions communautaires. De nombreux champs pétroliers ont été fermés en raison de la dégradation sécuritaire. D’autres ont vu leur personnel faire grève et affirmer leur mécontentement à l’égard de la classe politique dirigeante.
La Libye, une ouverture vers l’Afrique et l’Europe.
Situé au centre de la bande côtière libyenne, entre les deux régions rivales, Syrte permettrait au groupe d’exploiter un axe reliant la Passe de Salvador à la Méditerranée. Par ailleurs, plus de 4 000 kilomètres de frontières poreuses partagent l’Algérie, le Niger et la Libye. Cette zone est le théâtre d’un vide sécuritaire laissant les trafiquants de drogue, d’armes et d’êtres-humains circuler en toute impunité. 

Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) assoie sa puissance depuis de nombreuses années en Afrique du Nord et au Mali. La progression de de Daesh freine toutefois l’hégémonie de cet ancien frère de rang, notamment par l’aspiration de certains groupuscules lui prêtant allégeance. En outre, la continuité d’une stratégie Nord-Est/Sud-Ouest serait le creuset propice à l’unification militaire de certains groupes islamiques africains s’étant ralliés à la cause de Daesh depuis son émergence en Libye. Boko-Haram au Nigéria et le groupe terroriste d’Al-Mourabitoune, dirigée par Walid Sahraoui au Mali, représentent une menace inquiétante pour la stabilité de la région si ces factions venaient à coordonner leurs actions. Plus à l’Est, l’Egypte fait aussi partie de la ligne de mire du groupe terroriste Daesh. Actif depuis 2001 dans la péninsule du Sinaï, Ansar Jerusalem a prêté allégeance à l’Etat islamique en novembre 2014. Etendre l’influence du califat en terres égyptiennes devient alors un des objectifs politico-militaires de l’organisation terroriste. La dénomination du territoire allié comme « Province du Sinaï » (Wilayat Sinaï en arabe) en est une preuve.
D’autre part, l’implantation durable de Daesh en Libye pose le problème des migrants. Ce que nous connaissons de l’épisode syrien pourrait se transposer en Libye et en Afrique du Nord. En fuyant dans un premier temps vers les pays limitrophes, la population libyenne finirait par trouver refuge en Europe. Les derniers événements ont montré que les flux migratoires sont de très bons vecteurs du jihad. Ils permettent aux mouvements extrémistes de s’infiltrer aux populations en désarroi et de former des têtes de pont en Europe dans le but d’y commettre des attentats. Située à quelques heures des côtes européennes, Syrte deviendrait alors une plateforme d’importation du djihadisme en Europe.
Le jeu de l’influence médiatique face à la concurrence
Daesh est très présent sur les réseaux sociaux. L’occupation de cet espace numérique montre, une fois de plus, l’avancée du groupe à l’égard de son concurrent, Al-Qaïda. Dans la sphère virtuelle, le combat se construit autour du politique et de sa propagande. C’est grâce au message véhiculé sur l’Internet que de nombreuses personnes, se laissant convaincre par le prosélytisme islamique extrémiste, viennent renforcer les rangs de Daesh.
En mettant en œuvre des « opérations séductions » sur les réseaux sociaux auprès de la jeunesse maghrébine et Sud-sahélienne tentée par le djihad, le nouveau fief de Daesh attire de plus en plus de djihadistes venus de pays limitrophes à la Libye. Plusieurs milliers de combattants de l’Etat Islamique libyen sont notamment composés de Tunisiens, d’Algériens, d’Egyptiens, de Tchadiens, de Maliens, de Soudanais, d’Irakiens et de Yéménites.
La montée en puissance de l’Etat Islamique a jeté une ombre certaine sur l’influence d’Al-Qaïda en Afrique. La notoriété se joue aujourd’hui par une surenchère dans la violence. Les derniers attentats perpétrés par Al-Qaïda au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire nous en donnent la preuve. Ne nous leurrons pas, les actes terroristes perpétrés par les deux groupes terroristes en Europe et au Moyen-Orient sont en partie le désastreux reflet d’une guerre médiatique. Reprendre les devants sur la scène médiatique pour l’un et conserver une image de marque distinctive pour l’autre, sont les objectifs des djihadistes numériques d’aujourd’hui et de demain.
Ainsi, Daesh profite du chaos libyen pour étendre ses actions terroristes en Afrique. Considérée comme une manne financière à haut potentiel, la Libye revêt d’autres atouts stratégiques l’aidant dans sa course aux territoires. Les différentes factions djihadistes ayant rompu avec d’autres organisations terroristes donnent l’occasion à Daesh de créer un front djihadiste plus étendu. Le renforcement de l’organisation en Libye force la communauté internationale à envisager une intervention militaire. Aujourd’hui, la question est de savoir si l’ONU est prête à s’engager sur les terres libyennes ou si la solution au conflit ne se trouverait pas dans la création d’une coalition africaine.


1 REMY Jean-Philippe, « Comment l’Etat islamique est parti à l’assaut de l’Afrique », Le Monde, 21 janvier 2016.

mardi 19 avril 2016

La déroute des soldats du Califat ?


Depuis plus d’un an, l’armée du Califat enchaine les revers militaires au Levant face à des ennemis toujours plus nombreux, qui lui opposent des offensives terrestres soutenues par des frappes aériennes lui infligeant de lourdes pertes, et ne lui laissant aucun répit. Attaquée au nord par les kurdes, à l’ouest par le régime syrien et ses nombreux alliés, à l’est par l’armée irakienne, et tout azimut dans des affrontements inter-djihadistes, l’organisation, qui a déjà cédé près d’un tiers de son territoire, est contrainte à être partout sur la défensive.


De Kobané à Palmyre, le recul des soldats de Daech

En dotant son « Califat » d’une assise territoriale, réalisant ainsi une partie de la prophétie coranique, Daech a réussi là où Al-Qaïda et sa politique de djihad déterritorialisé ont échoué. En juin 2014, le Califat autoproclamé avait confirmé sa stratégie de conquête territoriale, en appliquant en Irak et en Syrie la logique du « djihad offensif ». Suite aux défaites militaires des régimes syriens et irakiens et à l’intervention croissante d’acteurs internationaux, le vent tourne pour le Califat, contraint d’adopter une nouvelle posture, celle du « djihad défensif », avec pour objectif de consolider les territoires conquis.

Dès le début de l’année 2015, les soldats du Califat doivent battre en retraite devant les combattants kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), appuyés par les frappes de la coalition qui, après de longs mois d’intenses combats, parviennent à libérer Kobané assiégée du joug djihadiste. En s’emparant de Tal Abyad, point de passage stratégique vers la Turquie, quelques mois plus tard, les forces kurdes rallient leurs bastions en Syrie septentrionale. En mars, c’est au tour des troupes irakiennes et des milices chiites, aidées par Washington et Téhéran, de reprendre Tikrit, ancien fief de Saddam Hussein à dominance sunnite. En novembre, une victoire cruciale est à nouveau obtenue lorsqu’une route de communication entre l’Irak et la Syrie est coupée grâce à la prise de Sinjar par les forces kurdes irakiennes. Bénéficiant du soutien de la coalition, les forces irakiennes infligent un revers majeur à Daech en s’emparant de Ramadi le 8 décembre 2015, lavant l’affront de leur retraite chaotique six mois plus tôt. Fin mars 2016, la reconquête de Palmyre par les forces loyalistes aidées par leur allié russe est une défaite de prestige pour Daech, qui subit un nouvel échec dix jours plus tard en perdant le contrôle d’Al-Raï, son principal point de passage à la frontière syro-turque.


Poursuivis à travers le désert en direction de Deir-Ezzor, les soldats du Califat sont également menacés à Raqqa, où les milices kurdes de l’YPG se sont regroupées à une cinquantaine de kilomètres du fief djihadiste. De l’autre côté de la frontière, les combats font rage dans la région de Hit, et l’offensive contre Mossoul, la forteresse irakienne de Daech, est en phase avancée de préparation.


Une tactique militaire inopérante  

Lors de la phase d’expansion du Califat, les unités de Daech avaient remporté de nombreuses victoires stratégiques en opérant selon les tactiques militaires des armées régulières, à savoir des assauts de grande ampleur pensés dans un cadre de guerre quasi-conventionnelle par une hiérarchie formée pour l’essentiel par d’anciens officiers de la garde républicaine de Saddam Hussein.
Progressivement, et face aux réactions qui lui sont opposées, un glissement s’est opéré dans la tactique militaire de Daech. Sous l’impulsion d’Abou Omar al-Chichani, nommé émir de l’armée du Califat en juin 2014 après la mort d’Abou Abdel Rahman al-Bilaoui. Le « Général de l’armée noire » – dont les compétences tactiques ont parfois été remises en cause – semble avoir largement contribué à façonner le nouvel « art de la guerre » du Califat, qui repose désormais essentiellement sur des méthodes de combat insurrectionnel dans un contexte de guerre asymétrique, où l’accent est mis sur les techniques de guérilla urbaine et les actions kamikazes.
N’ayant plus lancé d’offensive d’envergure depuis la prise de Palmyre en mai 2015, la branche militaire de Daech éprouve aujourd’hui de grandes difficultés à tenir un front, et se voit contrainte à des actions désespérées menées par ses « brigades des martyrs ». Si sa capacité de nuisance reste forte, ce mode opératoire n’est plus celui d’un Etat qu’il se prétend être, et le coût humain et matériel de ces attaques aveugles, comparable à celui des Talibans afghans, nuit à son influence dans les cœurs et les esprits des populations locales. Les adversaires de Daech doivent exploiter cette faille pour gagner à leur cause les habitants sunnites souvent hostiles à leur présence.


Une armée diminuée, décapitée, et démoralisée
En juin 2014, Abu Bakr al-Baghdadi triomphe à Mossoul où il proclame l’avènement du Califat, et revendique être à la tête d’une armée de 50 000 hommes – les estimations les plus crédibles tablent alors davantage sur 35 000 soldats. Depuis, les offensives terrestres des armées syrienne et irakienne, amplifiées par les bombardements massifs de la coalition internationale et de la Russie, et juxtaposées aux opérations menées par les autres factions armées, ont occasionné de très nombreuses pertes dans les rangs de l’organisation, dont les effectifs ne dépasseraient pas aujourd’hui les 25 000 hommes. En moins de deux ans, le Califat aurait ainsi perdu près d’un tiers de son territoire et tout autant de son « armée ».


Si la troupe s’amenuise, la chaine de commandement militaire de l’organisation n’est pas épargnée. Ainsi, alors qu’Abou Muslim al-Turkmeni, chef des opérations en Irak, est tué le 18 août dernier par une frappe aérienne de la coalition, Abou Ali al-Anbari – son homologue pour la Syrie – aurait choisi de fuir pour la Libye. Depuis plusieurs mois, les bombardements ciblés de drones américains éliminent minutieusement les cadres intermédiaires qui forment l’ossature des forces militaires de Daech.
Alors que les victoires du Califat avaient souvent été remportées face à des armées régulières en fuite, manquant de motivation et d’organisation, les récents revers militaires de Daech redonnent de l’espoir aux différents acteurs qui se battent au sol. De plus en plus isolée militairement, l’organisation ne bénéficie plus que du soutien de quelques groupes et tribus sunnites, dont certaines commencent à faire défection, habitées par le doute semé par les frappes aériennes russo-américaines et l’envoi de « conseillers techniques » et de forces spéciales sur le sol levantin. A Palmyre, les djihadistes de Daech se sont repliés précipitamment, confirmant les rumeurs d’abattement et de lassitude des troupes propagées par un général irakien dans les colonnes du Washington Post en mars dernier. Bombardés sur tous les fronts, les djihadistes doivent également faire face à l’effondrement de leur économie pétrolière, qui a conduit l’organisation à diviser leur salaire par deux.


Les retombées internationales des défaites locales

Affaibli militairement, confiné géographiquement, étranglé économiquement, le Califat se replie sur d’autres terrains.
D’aucuns voient dans l’agression extérieure permanente, matérialisée par les terribles massacres de Beyrouth, Paris, ou Bruxelles, ou par l’explosion de l’avion de ligne russe au-dessus du Sinaï une manière pour Daech de faire diversion vis-à-vis des défaites subies par le Califat sur front intérieur. L’organisation pourrait ainsi tenter de camoufler ses revers militaires et le coup d’arrêt porté à son projet territorial en envoyant ses commandos terroristes, formés au Levant, provoquer des attentats partout dans le monde pour frapper le cœur de ses ennemis. Pour d’autres, le terrorisme à l’étranger ferait partie intégrale de la stratégie militaire de Daech, qui en multipliant le nombre d’attentats à l’extérieur augmenterait la probabilité d’une intervention des puissances occidentales au sol au Levant, provoquant alors l’arrivée du messie et la grande bataille finale de l’islam.
Acculé en Syrie et en Irak, Daech pourrait également chercher à relancer son expansion territoriale sur les wilayas asiatiques et maghrébines de l’ancien Califat abbasside de Bagdad. C’est en Libye, profitant du chaos dans lequel est plongé le pays depuis la chute du colonel Mouammar Kadhafi, que l’armée du Califat semble avoir implanté ses nouvelles bases. En redéployant une partie de ses forces et de son arsenal militaire à Syrte, l’organisation espère sans doute donner un nouveau souffle à sa viabilité territoriale et redorer le blason d’une armée chancelante.

vendredi 8 avril 2016

Les enfants lobotomisés du califat


 

A la suite du précédent article sur l’industrie de l’infanticide (ici), La Mécanique Daesh propose aujourd’hui d’aborder la question de la place de l’enfant au sein de l’Etat Islamique.
Souvent considérés comme une ressource humaine non négligeable en temps de guerre, les enfants sont utilisés par Daesh pour prêter main forte à l’édification du califat. Engrainés dès leur plus jeune âge, les enfants sont reconnus par les moudjahidines adultes comme « purs » et moins corrompus par les valeurs contraires à l’islam radical. Ils sont entrainés, formés et façonnés pour en faire des complices automates. Sans esprit critique, la jeune génération peut répondre plus facilement aux désirs de puissance de ses gourous.
        Les enfants du califat assistent et participent à des actes inhumains banalisant et normalisant ainsi la violence. Ingurgitée à toutes les sauces, cette dernière est alors considérée comme une preuve d’obéissance à Dieu, dans le souci de lui plaire et de lui signifier toujours plus sa grandeur.
Si l’avenir d’un Etat repose sur les générations futures… avec Daesh, attendons-nous au pire !
             D’après le rapport du think-tank Quilliam « The Children of the Islamic State », paru le 3 mars 20161, le groupe terroriste manipule les enfants en leur assénant une doctrine, en les enfermant dans des rôles et des scénarios préétablis, valorisants ou non, tout en exploitant leurs vulnérabilités. Parfois enlevés, recrutés de force et éduqués par l’Etat Islamique, les jeunes garçons sont appelés à occuper différentes fonctions au sein du « système Daesh », parmi lesquelles :
  • L’enfant délateur : est initialement formé comme espion afin de recueillir de l’information sur les faits et gestes de sa famille, ses amis et ses voisins. Le but est de savoir si ces derniers se conforment bien aux règles et pratiques du califat.
  • L’enfant propagandiste : doté d’une certaine aisance relationnelle et maîtrisant les fondamentaux de la rhétorique arabe, il se verra confier des missions de propagande pour diffuser le message islamique (da’wah). L’enfant se trouve être un bon relai d’information, surtout lorsqu’il est question de mobiliser et d’enrôler d’autres enfants.
  • L’enfant soldat : est entrainé à se servir d’armes de guerre pour aller au combat. Quand certains enfants sont utilisés pour effectuer des patrouilles armées, d’autres le sont pour désamorcer des bombes.
  • L’enfant bourreau : l’exécution des « traîtres », des « impurs » et des « kuffars » est considérée comme un privilège, un honneur, une récompense. Cette besogne macabre est confiée aux enfants par des maîtres.
  • L’enfant kamikaze : est endoctriné pour commettre des attentats suicides. Il est précieux pour les recruteurs, car il est considéré comme moins lâche que les adultes, qui auraient tendance à adopter un comportement plus rationnel.
Les jeunes filles, elles, ont des tâches bien différentes. A l’instar du projet Lebensborn conçu par l’Allemagne nazie du IIIème Reich pour concevoir une « race arienne » exemplaire, le rôle des génitrices du nouveau monde islamique est de construire la Oumma en donnant naissance à des garçons pour les envoyer au front. Là où les nazis étaient dans la recherche d’une pureté ethnique, les cadres de Daesh recherchent la « pureté » spirituelle dont l’expression la plus aboutie est le sacrifice de soi dans le martyr. Les « Perles du califat » s’attachent donc à recevoir une éducation conforme au bon fonctionnement du foyer et de la famille, tout en accomplissant leurs devoirs conjugaux. L’objectif : enfanter une génération radicale pour pérenniser les valeurs et l’existence du califat.
D’autres sont bien moins considérées et font l’objet d’abus sexuels. C’est le cas des jeunes filles yézidies et chrétiennes qui subissent des actes de violence à longueur de journée. De nombreux témoignages ont mis en lumière les maltraitances faites à leur égard. Esclaves et prisonnières, ces jeunes femmes cherchent à fuir la torture parfois au péril de leur vie. Commercialisées comme des barils de pétrole, elles peuvent être « achetées individuellement à cinq ou six hommes différents. Parfois les combattants vendent les filles à leur famille moyennant une rançon de plusieurs milliers de dollars. Ils (les combattants) ont une machinerie, ils ont un programme. Ils disposent d'un manuel qui explique comment traiter ces femmes », explique Zainab Bangura2, représentante spéciale des Nations Unies (ici).
L’instrumentalisation, l’affaire d’une Histoire ou l’histoire d’une affaire ?
          L’école et l’éducation des enfants sont au cœur des préoccupations de l’Etat Islamique. Etant le meilleur moyen d’influencer les générations futures, les enfants se retrouvent au centre de toutes les attentions lorsqu’il est question de leur éducation. Les matières enseignées à l’école telles que l’histoire, le dessin, la philosophie, les sciences humaines, la musique (etc.) sont évincées des programmes scolaires. L’éducation physique concerne, quant à elle, uniquement les disciplines sportives pouvant être utiles au djihad (natation, tir, techniques de combat).
L’école à la maison est considéré comme haram (impur) ; il est impossible aux cadres du califat de contrôler les connaissances des enfants dans leur apprentissage du djihad. Les enfants doivent se rendre obligatoirement à l’école pour y subir une éducation conforme à l’orthodoxie salafiste. Dès lors, les garçons et les filles sont séparés dès l’âge de six ans et n’ont pas accès au même programme scolaire. Ils effectuent cinq ans d’école primaire et quatre ans de collège. Un traitement particulier est accordé aux élèves ayant été scolarisés précédemment en dehors de l’Etat Islamique. Ils fréquentent alors des classes adaptées où ils sont rééduqués par des enseignants particuliers.
          Les méthodes d’enseignement font écho à l’histoire et à la mémoire européenne. Selon le rapport du think-tank Quilliam, les djihadistes auraient recours aux techniques qu’utilisaient les nazis. En effet, utilisé comme un véritable système d’endoctrinement, le système éducatif nazi visait à instrumentaliser la jeunesse allemande :
« It is not the task of the elementary school to impart a multiplicity of knowledge for the personal use of the individual. It has to develop and harness all physical and mental powers of youth for the service of the people and the state. Therefore, the only subject that has any place in the school curriculum is that which is necessary to achieve this aim. All other subjects, springing from obsolete educational ideas, must be discarded »3
Ainsi, de jour en jour, l’Etat Islamique apparait comme un véritable Etat totalitaire au sens où Hanna Arendt l’entendait. En manipulant et en conditionnant ses enfants, le groupe terroriste privilégie ses intérêts politiques. La religion n’est ici qu’une façade, un prétexte pour atteindre des objectifs à court terme. Le malheur est que, pour cela, il assujettit et pervertit ses propres enfants pour en faire une chair à canon décervelée.

1 http://www.quilliamfoundation.org/wp/wp-content/uploads/publications/free/the-children-of-islamic-state.pdf.

2 http://www.rtl.fr/actu/international/l-etat-islamique-tient-une-liste-du-prix-de-ses-esclaves-sexuels-7779310787.

3 "The Children of Islamic State", Think-tank Quilliam, 3 mars 2016, p 33.