lundi 6 juillet 2015

Mettre l'horreur en images pour masquer la défaite sur le terrain


Les images de barbaries s'enchainent au fil des semaines et nos yeux s'habituent, les dernières arrivées sur nos écrans occultent les précédentes, aussi horribles soient-elles.
Ainsi ce week-end, Daech conviait la planète entière aux "Jeux du cirque" dans l'amphithéâtre romain de Palmyre pour assister à l'exécution de 25 soldats du régime syrien par de jeunes adolescents que Daech se plait à appeler Les Lionceaux du Califat. Notons au passage une certaine contradiction dans cette action qui s'inspire d'une civilisation polythéïste que Daech considère comme mécréante... La mise en scène est donc grandiose et le symbole véhiculé nous fait presque oublier la dernière vidéo diffusée le 23 juin présentant l'exécution "d'espions" selon trois modes opératoires des plus "glauques": les premiers "coupables" sont exécutés dans une voiture sur laquelle un soldat du califat tire au lance-roquettes, les suivants sont noyés enfermés dans une cage et les derniers sont enchainés par le cou à l'aide d'un cordeau détonant dont la mise à feu fait exploser leurs têtes.
Au-delà du message adressé aux "espions" potentiels par cet acte d'exécution, c'est encore une fois la mise en image de la dramaturgie dans toute son horreur  qui est à souligner et à décrypter.

L'horreur attire les projecteurs des médias et l'attention de l'opinion publique mondiale: l'humanité entière s'émeut face à la destinée tragique de cette vingtaine d'hommes sacrifiés sur l'autel du jihad global tout comme leurs prédécesseurs éthiopiens ou coptes. Des voix s'élèvent et réclament une intervention au sol. La mise en scène des exécutions relayée à travers le monde, vue par des millions de gens donnee l'illusion d'un massacre d'envergure gigantesque: chaque télésepectateur s'identifie à l'exécuté, des centaines de milliers de vues sur le net donnent l'impression de centaines de milliers d'exécutés.
Or, comme le souligne le géo stratège Gérard Chaliand le 29 juin sur le plateau de l'émision C dans l'air au risque de choquer le politiquement correct:"Ils ne tuent pas beaucoup de gens, non, ils ne tuent pas beaucoup de gens, ils théâtralisent la mort; on tue sélectivement histoire de frapper les imaginaires ...ils n'ont pas tué 30 000 personnes, il y a eu 200 000 morts dans la guerre civile syrienne. On est trés loin de chiffres comme cela avec Daech. Mais en ce qui concerne la propagande oui!".
En mettant en scène ces exécutions, ces destructions de sites archéologiques, Daech veut choquer, faire parler de lui en faisant étalage de sa puissance destructrice et l'absence de limites face à l'horreur. Il utilise l'outil média non pas comme un vecteur d'information mais bien comme un outil de communication. Une communication savamment maîtrisée tant au niveau technique et qualitatif qu'au niveau stratégie de diffusion. Daech réussit son pari face à notre société du spectacle dont les médias diffusent un show de la peur et sont devenus ainsi une usine à angoisse qui altère les faits et biaise l'analyse.


 Ainsi,la mort d'une vingtaine de soldats syriens ou d'otages en gros plan nous émeut à juste titre alors que la mort invisible de dizaines de milliers de syriens ne fait pas écho comme le précise à nouveau avec beaucoup de justesse Gérard Chaliand "Ils [Daech] nous font de la théâtralisation de l'horreur quand ils n'arrivent pas à avoir d'autres succès parce qu'ils adorent ravir la Une [...]".




En effet, si nous mettons en vis à vis le calendrier de diffusion des vidéos d'exécutions ou de destructions de sites archéologiques et celui des revers militaires consentis par Daech, le résultat est éloquent:
  • Le 28 janvier les forces kurdes reprennent la ville de Kobanê et d'Ain al-Arab, le 3 février Daech diffuse la vidéo de l'exécution du pilote jordanien par crémation.
  • Pendant la semaine du 10 février, après avoir été repoussé à plusieurs reprises, Daech ne semble pas en mesure de reprendre l'ascendant dans le nord de l'Irak. Le 16 février une vidéo présentant l'exécution de 21 coptes est mise en ligne.
  • Le 17 févier, les forces kurdes avec des éléments de l'insurection syrienne, poursuivent l'élargissement du périmètre sous leur contrôle dans la région de kobanê. Le 24 février, Daech diffuse la vidéo présentant la destruction de statues antiques au musée de Mossoul alors qu'au même moment les kurdes reprennent le contrôle de la région de Tall Hamis.
  • Deux semaines plus tard, alors qu'il est pris en étau par les Peshmerghas et les milices chiites et que 200 jihadistes se rendent aux forces combinées de la région de Tuz Khurmatu, Daech met en ligne une vidéo dans laquelle un enfant à peine âgé d'une dizaine d'années semble exécuter un soit disant agent du Mossad. 
  • Au mois d'avril, c'est au moment où la ville de Tikrit est reprise par les forces irakiennes et grâce à l'appui aérien de la coalition qu'un clip vidéo du rappeur allemand converti à l'islam et parti faire le jihad Deeso Dog est diffusé en 5 langues pour avertir l'occident d'une menace d'attentats terroristes. 
  • Le 23 juin la diffusion de la vidéo présentant l'exécution selon 3 modes opératoires correspond au moment où Daech est sur la défensive au nord de Raqqa face à une alliance kurdo-insurgée qui ne cesse de progresser.
Hasards ou coïncidences entre les dates de diffusion des vidéos et les revers militaires? Daech ne laisse aucune place au hasard et programme soigneusement sa politique  de communication tout comme il prend grand soin à scénariser et filmer ses productions audiovisuelles. En témoigne encore une fois la dernière vidéo tournée à Palmyre le 21 mai et diffusée seulement le 4 juin.

Daech maîtrise visiblement mieux l'art de la guerre médiatique que l'art de la ligne de front. A nous public occidental de ne pas sombrer dans l'émotion et garder raison pour mieux analyser et comprendre les mécanismes de cette propagande qui tend à nous faire croire à une toute puissance qui n'est en fait qu'un écran de fumée.


 
Cet article est le premier d'une série à venir qui constituera un petit guide de survie au sein de la jungle propagandesque Daechienne. Nous avons aujourd'hui mis en lumière l'art de la diversion, prochainement nous aborderons l'art de l'illusion.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire