mardi 5 juillet 2016

Obéir et procréer sans rien dire, le sort des femmes chez Daesh




Les femmes représentent plus de 35 % des étrangers français en Syrie ayant rejoint l’organisation terroriste Daesh et constituent 20 % des départs à destination de ce pays depuis l’Europe et les Etats-Unis. Matrice du monde, elles incarnent la clé indispensable au projet expansionniste du Califat. Elles sont la pierre angulaire de la construction d’un Etat. Leur pouvoir ? Avoir la capacité de procréer dans le silence pour l’aboutissement d’un Etat établi : « There’s a priority for the Islamic State to attract females because it offers stability. If you want people to see you as a nation, a legitimate state, it’s important to attract females and have them start families »1.
Mais quels sont les leviers qui incitent ces femmes à quitter leur famille et à prendre part au djihad ?
L’espoir d’une vie meilleure et d’un prince charmant
Nombreuses sont les femmes qui mettent en avant la déliquescence de la société occidentale, la perte de valeurs et de repères. Le moudjahid incarnerait, quant à lui, une masculinité, une forme de virilité aux traits pieux qui permettraient aux femmes d’accomplir un destin fantasmé et de se prémunir de galères amoureuses. Ainsi, elles embrassent la cause du djihad pour rétablir un équilibre homme/femme dans une société qui ne respecte plus la femme. Selon Géraldine Casutt, chercheuse à l’université de Fribourg, les femmes cherchent une « forme d’émancipation de la société occidentale, de ses formes sociales et vestimentaires, de l’image de la femme dans la publicité »2. Pieuses, elles espèrent réunifier le monde musulman éclaté de part et d’autre du globe. Ne pouvant pas vivre pleinement leur religion en Europe, les « perles du califat » sont convaincues que l’Etat islamique représente l’endroit rêvé pour s’épanouir spirituellement : «On m’a fait un lavage de cerveau : la propagande de Daesh est très persuasive. Je me suis radicalisée et je me suis convaincue que le califat représentait un lieu de vie idéal pour les vrais musulmans »3.
L’égalité homme/femme n’est pas reconnue par la gente féminine et la considère comme « hypocrite ». Les femmes « réfléchissent plutôt en termes de complémentarité avec les hommes »4 et revendiquent leur statut de mère, d’épouse et de sœur.
Les jeunes femmes adolescentes n’échappent pas aux clichés fleurs-bleues ravivant le cœur et les esprits des plus sensibles. Elles sont à la recherche du héros, voire du héraut, dont elles seront fières, du prince charmant qui animera en elles des passions inavouées : « Après quelques minutes, j’ai jeté un œil à travers mon niqab. Il m’a regardée. Nos regards se sont croisés. Mon cœur palpitait plus vite que la vitesse de la lumière » 5. Cette phrase est extraite d’un des comptes Twitter créés par les recruteurs de l’organisation de l'Etat Islamique (@_BirdOfJannah – compte aujourd'hui fermé) pour inciter les femmes à rejoindre le Cham. Car même si les images insoutenables véhiculées par l’hydre de guerre sont appréciées par la gente féminine, les femmes n’en restent pas moins friandes d’un pseudo-romantisme cucul les bousculant dans leurs retranchements émotifs.
Et les recruteurs l’ont bien compris ! Ces derniers adaptent leurs approches en suivant des scénarios bien établis. Lorsque la jeune femme est altruiste, Daesh lui proposera de venir en soutien aux populations civiles subissant les exactions du gouvernement de Bachar-Al-Assad ; lorsque la jeune femme est dépressive, l’organisation lui demandera de participer aux opérations suicides ; et si son penchant pour les histoires à l’eau de rose se manifeste dans ses échanges, le recruteur lui fera miroiter le prince charmant solutionnant tous ses problèmes affectifs.
La stratégie de la propagande djihadiste n’écarte aucun support pouvant inciter les « bonnes musulmanes » à trouver la voie dans l’extrémisme religieux. Un magazine féminin islamique et djihadiste, Al-Shamikha, a été créé afin d’appeler les femmes en terre sainte. Ce « guide » offre aux lectrices un sommaire détaillé, digne d’un périodique de renom, n’épargnant pas le drapeau de l’Etat Islamique aux côtés de fleurs et de pictogrammes rose bonbon. L’édito est clair et enjolive le statut de la femme d’un martyr : « elle représente la moitié de la société car elle met au monde l’autre moitié […] Le monde a besoin de femmes qui connaissent leur religion pour éduquer les prochaines générations ». Ainsi, elles sont dépeintes comme le soutien indispensable des combattants musulmans à l’édification d’un califat. A l’image d’un magazine extrait tout droit de la presse féminine, les rédacteurs proposent des conseils de beauté et de psychologie et n’oublient pas de sensibiliser les femmes à la bonne application de la Charia.
Quel avenir pour ces femmes une fois en Syrie/Irak ?
Attirer la gente féminine pour pérenniser plusieurs générations de moudjahid n’est pas le seul objectif de l’Etat Islamique. A l’instar du rôle des princes charmants dans la politique de recrutement de l’EI, les femmes servent bien souvent d’appât aux hommes pour les appeler au combat. Les femmes motivent également  « les combattants sur place et les empêchent de vouloir quitter leurs rangs… » 6. Les hommes partis rejoindre l’Etat Islamique ont cruellement besoin des femmes pour donner une lueur de distraction à leur quotidien morose. Dérivatif, amusement, délassement du guerrier, elles n’ont de reconnaissance que dans la façon dont elles obéissent à leur mari : « Les hommes ont autorité sur les femmes, en raison des faveurs qu’Allah accorde à ceux-là sur celles-ci, et aussi à cause des dépenses qu’ils font de leurs bien. Les femmes vertueuses sont obéissantes (à leurs maris), et protègent ce qui doit être protégé, pendant l’absence de leurs époux, avec la protection d’Allah. Et quant à celles dont vous craignez la désobéissance, exhortez-les, éloignez-vous d’elles dans leurs lits et frappez-les. Si elles arrivent à vous obéir, alors ne chercher plus de voie contre elles, car Allah est certes, Haut et Grand ! » (Le Saint Coran - Sourate 4, Verset 36).
La liberté dont les femmes musulmanes jouissent aujourd’hui en occident est définitivement abolie une fois les frontières du Cham passées. Le plus souvent à la maison à s’occuper des enfants et du foyer ainsi qu’à répondre aux demandes et attentes de leur mari, les femmes ont rarement la possibilité d’exercer une activité professionnelle. Seules certaines d’entre elles sont employées à l’extérieur de la maison. C’est le cas de celles qui ont intégré la Hisbah (police religieuse) pour réprimander les faits et gestes d’autres femmes ne respectant pas les règles de la Charia selon Daesh : « Les femmes étrangères et européennes de la Hisbah  ont un statut plus élevé que les syriennes. Si je marche dans la rue avec des hauts talons et des vêtements colorés, et que je montre mes yeux, évidemment elle viendra armée et en uniforme, et me jettera dans la voiture […] J’aimerais tant pouvoir enlever mon niqab pour de bon et sortir des ténèbres qui nous entourent. Je rêve de pouvoir m’habiller comme avant… de pouvoir sortir dans la rue sans avoir peur. Sans voir d’armes, d’étrangers barbus aux visages terrifiants. Je veux vivre comme je veux. Acheter ce que je veux. Je veux sortir seule, libre sans gardien pour m’accompagner. Rien ne m’est plus cher que la liberté »7.
Les femmes n’ont pas le droit de sortir seule, même pour aller chercher du pain ou du sel à l’épicerie du coin. Elles sont tenues de satisfaire les besoins de leur mari et ne vivent qu’à travers lui : « J’ai été obligée de porter la burqa et je ne pouvais quitter la maison qu’accompagner de mon mari, même pour me rendre dans une épicerie ».
Coupées du monde, sans réelle vie sociale, elles sombrent le plus souvent dans une grande solitude meurtrie d’ennuis et de regrets. Elles passent leurs journées à regarder des séries télévisées américaines. Cette pratique frôle le ridicule et ne manque pas d’hypocrisie. Vouloir tuer l’Occident et s’en nourrir simultanément… Cherchez l’erreur !
Tant bien que mal, les femmes essaient de garder un lien avec leur famille en Occident au-delà des difficultés qu’elles rencontrent à cause de la censure, les cadres de Daesh filtrant les échanges. Les chances de regagner leur pays d’origine sont minces et demandent aux plus motivées de convaincre leur mari combattant et de faire appel à un réseau élargi de passeurs. Si toutefois elles regagnent l’Europe, elles sont arrêtées puis emprisonnées par les autorités. De fait, se projeter dans un futur plus ou moins proche devient difficile : « Ne partez pas, réfléchissez à ce qu’implique vos actes. Une fois sur place, il est impossible de revenir en arrière. Ne commettez pas mon erreur, parce que ma vie est ruinée ».
Même à la maison, les femmes ne sont pas exemptes d’atrocités au quotidien. Une vidéo, publiée par Expressen TV, nous offre le témoignage de deux syriennes vivants sous le joug de Daesh à Raqqa. Loin d’être épargnées, elles assistent à des assassinats et des tortures8 : « J’y suis allée voir. C’est humain d’être curieux et de vouloir regarder. J’ai essayé de regarder. Ils avaient assis un homme par terre. C’était un jeune homme, un soldat. Il était assis là, et ils avaient placé des couteaux à côté de lui. Ils étaient vêtus de noir. Il y en avait quatre ou cinq. Ils ont chacun tiré quatre ou cinq fois. Quand il est mort, ils l’ont décapité. J’ai essayé de regarder mais je n’ai pas eu la force. Ils exécutent par balle, profanent le corps, coupent la tête, la plantent sur une pique et l’exhibent au rond-point. Ou bien, ils couchent le corps sur la route et obligent les voitures à rouler dessus jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien. Le corps ne fait plus qu’un avec le sol. Il ne reste plus que les vêtements ».
Les départs pour la Syrie et l’Irak nous prouvent que le djihad n’est pas l’apanage des hommes. Souvent très jeunes, les femmes partent pour l’autre continent et deviennent l’ombre des combattants de l’Etat islamique. En pleine guerre et barbarie, elles servent de distraction aux hommes et deviennent des esclaves sexuelles à la merci de leur bourreau de mari. Souvent vulnérables et victimes de mauvais traitements, elles élèvent la prochaine génération de l’organisation en découvrant peu à peu l’épouvantable facette de la vie sous Daesh.
1  Marie-Claire, « The american Women of ISIS », 22 avril 2016.

2 La Liberté, « Ne pas négliger le rôle des femmes », 2 mai 2014.

3 7sur7, « Une carolo déradicalisée explique l’enfer vécu en Syrie »,21 avril 2016.

4 La Liberté, « Ne pas négliger le rôle des femmes », 2 mai 2014.

5 Le journal des femmes, « Daesh pervertit les codes du romantisme pour séduire les femmes », 26 janvier 2016.

6 20 Minutes, « Fugues vers la Syrie : “Daesh a compris que les femmes peuvent server à motive les combattants » », 07 mars 2016.

7 Ibid. 8 Youtube, « La vie à Raqqa : Deux femmes ont filmé en caméra cachée la ville occupée par l’Etat Islamique », vidéo publiée le 18 mai 2016.

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