lundi 6 juin 2016

De l’espoir à la désillusion : les soldats perdus du califat

« Partir en Syrie, c’est tenter d’exister ailleurs »1. Un leurre rattrapé par la réalité du terrain.
De nombreux étrangers partis rejoindre l’organisation terroriste sont aujourd’hui désillusionnés et tentent de fuir les lignes de front2. Le mythe du Moudjahid véhiculé par la propagande de Daesh s’effondre peu à peu. « Le mensonge comme l’huile flotte à la surface de la vérité »3 et l’idéal tant revendiqué par les soldats du califat se confronte aujourd’hui aux limites de la réalité.



L’interview réalisée et menée par le journaliste Bilal Abdulkareem sur la chaine Youtube « Face the Truth », nous offre la vision d’un ex-membre de Daesh, Abu Mohammed, ayant fui l’organisation terroriste. La Mécanique Daesh vous propose d’écouter deux extraits poignants, montrant qu’une vérité accommodante n’est autre qu’une vérité accommodée.











Ainsi, les discours politiques sont en décalage avec les actes. Et les témoignages des déserteurs mettent en lumière l’écart entre l’espoir fondé sur une communauté musulmane fantasmée et sublimée par les cadres de Daesh, et la réalité du terrain. Nombreux sont les membres de cette organisation qui ne souhaitent pas participer aux querelles intestines entre les milices djihadistes. D’autres font état de discriminations raciales entre combattants et d’abus de pouvoir de certains groupes : « Des déserteurs soulignent encore une fois l’écart vertigineux entre les attentes et la réalité. En fait, 8,5 % de tous ceux qui ont quitté le groupe citent les tensions ethniques ou raciales comme motif de leur départ. Un certain nombre de combattants ont expliqué, par exemple, comment ils avaient l’impression que certains groupes jouissaient de privilèges et comment le groupe auquel ils appartenaient était utilisé comme de la simple chair à canon »4.



Pour les autres, ils sont écœurés par la sauvagerie de l’organisation et « son mépris de la vie humaine ». Le témoignage d’Ali, repenti de Daesh, éclaire en ce sens les exactions commises par la Hisbah (police religieuse) à l’égard de la population. En guise d’avertissement, elle aurait exposé durant plusieurs semaines le cadavre d’un « jeune de 14 ans égorgé au prétexte qu’il avait arrêté la prière »5. Selon l’étude menée par le Service Canadien du Renseignement de Sécurité (SCRS), plus de 21 % des déserteurs signalent « la corruption et la barbarie » comme motif de leur départ. Saddam Jamal, combattant syrien ayant rejoint l’Etat islamique avant de faire défection, soulignait les atrocités commises à l’égard de la population : « Ils détruisent sans le moindre scrupule un immeuble entier rempli de femmes et d’enfants pour tuer une seule personne ». Pour un autre combattant, tuer serait devenu un plaisir malsain, d’une violence extrême : « Ce n’est ni une révolution, ni un djihad, mais bien un massacre ». David Thomson, journaliste à RFI, fait également état de la légitimité de la violence au sein de la matrice Daesh : « un djihadiste issu de la grande délinquance, qui avait déjà du sang sur les mains avant de se convertir, me disait même que son passé en tant que criminel le renforçait dans sa vérité, dans la mesure où ce passé le rapprochait des compagnons du Prophète Mohammed, passés de la violence séculaire à la violence religieuse. Cette personne a intégré la police islamique, et il m’a un jour confié qu’il prenait du plaisir à tuer des gens. Dans son cas, le djihadisme lui a permis de légitimer sa violence, il lui a offert une raison d’assouvir totalement ses pulsions meurtrières »6.



Lâches et désespérés, les écorchés vifs du califat sont confrontés à leurs malheurs



Mais la désillusion ne s’arrête pas là. Acculés par les frappes de la coalition, les soldats de l’organisation terroriste sont touchés aussi bien sur le terrain qu’au portefeuille. Perte de territoire, augmentation des impôts, baisse des salaires et conditions de vie de plus en plus difficiles, les combattants de Daesh ont perdu en motivation et en vitalité. Le moral des troupes est aujourd’hui au plus bas. Cette constatation est notamment liée à l’augmentation du nombre de djihadistes fuyants les rangs de l’Etat islamique. « On assiste à une augmentation du nombre de désertions, à une baisse de moral. On voit qu’ils ne peuvent plus payer. On les voit essayer de quitter Daesh » assure le général américain Peter Gersten7. Selon lui, le nombre de soldats étrangers voulant rejoindre l’organisation terroriste aurait chuté d’environ 90% : de « 1.500 à 2.000 » soldats chaque mois il y a un an, Daesh comptabiliserait «  environ 200 » recrues aujourd’hui.



Et pour cause, les réalités du terrain ne donnent pas envie aux recrues étrangères tentées par le djihad de partir au Sham. La vidéo, postée le 27 avril sur Youtube par le site numérique d’informations Vice News, dépeint une réalité gênante que les djihadistes se gardent de dévoiler. Ces images de guerre, filmées à l’aide d’une caméra GoPro par un combattant de Daesh, font état de l’incapacité de ces soldats à combattre et mettent en lumière des conditions opérationnelles déplorables. Enervement, stress, gestes imprécis, cet amateurisme fait plus particulièrement écho au manque de préparation militaire des « soi-disant » soldats. Sans aucun entraînement, ni même un matériel et un équipement adéquats, leur incompétence est ici criante.



Face à tant d’ignorance et d’improvisation, les combattants n’ont d’autre recourt que de faire de faux certificats médicaux pour éviter d’aller au combat8. Cette pratique aurait pris des proportions telles qu’elle aurait fait l’objet de mises en garde par les cadres de Daesh : « Aux frères médecins […] nous rappelons qu’une attestation médicale est l’équivalent d’un témoignage et que tout médecin qui écrira de faux documents devra rendre des comptes »9. Nous sommes loin de l’image du vaillant soldat que véhiculent les messages de propagande. Le manque de courage souligne la faiblesse morale et psychologique du combattant. Le rêve initial de la jeune recrue s’effondre et ses idéaux peu fondés se volatilisent… Courage, fuyons !



Et pourtant, ce n’est pas faute de doper les troupes pour en faire des machines de guerre passives et obéissantes. La prise de Captagon10 par les combattants de Daesh est une pratique courante. L’objectif recherché ? Faire de ces êtres humains des moutons, adoptant une attitude résolument décidée, dénuée de morale et d’états d’âme. Drogués et déphasés, les combattants éprouvent une euphorie intense qui leur permet de ne ressentir ni peur ni douleur et d’adopter un comportement mécanique et déshumanisé. Faisant partie de la famille des amphétamines, cette drogue stimule la production de dopamine et améliore la concentration. Le Pr Jean-Pol Tassin détaillait à Science et Avenir11 que le Captagon « entraîne une résistance à la fatigue, une vigilance accrue et une perte de jugement. Elle donne l’impression à celui qui la consomme d’être tout puissant, d’être le roi du monde ». Une fois de plus, la dissension entre l’image du valeureux guerrier islamique que prétendent être les djihadistes et celle d’un simple camé se donnant du courage avant de partir au front, est flagrante.



Tout ceci constitue des éléments permettant de montrer que la propagande n’est pas la réalité, mais bien un outil de manipulation. La désillusion gagne les cerveaux, les jeunes recrues s’aperçoivent qu’elles ont été bernées. Il ne reste que les larmes, le chagrin et la peur. Le Califat d’al-Baghdadi est loin d’offrir une société harmonieuse et égalitaire. Les cadres de l’Etat islamique sont perçus par ses membres comme « corrompus, hypocrites et indifférents face à la souffrance »12 et n’hésitent pas à corriger sévèrement les soldats voulant fuir. Fortement réprimés par les dirigeants de l’EI, les désertions et les séditions sont considérées comme une haute trahison faite à la Dawla (l’Etat). De la prison à l’exécution, des châtiments sont réservés aux membres de l’organisation islamique voulant sauver leur peau des batailles perdues d’avance.



Endoctrinés, drogués et utilisés comme de la chair à canon, les soldats du califat ne sont que les exécutants de chefs incapables de les guider au combat. On a coutume de dire qu’un soldat est à l’image de son chef. Quelle est donc la vraie nature de ces chefs-là ?


1 www.neonmag.fr « Moi, Mourad, ancien djihadiste », 26 novembre 2015. 2 Al-Qaïda, l’EIIL et leurs héritiers, Service Canadien du renseignement de sécurité, mai 2016, page 91 à 96. 3 Henryk Slenkiewicz 
4 Ibid.   5 BFM TV, Jihad : déçu par Daesh, il se livre à la police française à son retour de Syrie, 27 juillet 2015.   6 www.nonfiction.fr, entretien avec David Thomson, « Tuer pour exister, et mourir »7 20 Minutes, Les combattants de Daesh se font porter pâles pour éviter d’aller au front, 28 avril 2016. 8 Ibid. 9 Ibid. 10 Drogue de synthèse dérivée de l’amphétamine 11 Lise Loumé, Qu’est-ce que le captagon, la drogue des djihadistes ?, Science et Avenir, le 17 novembre 2015. 12 Ibid.

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