Alors que Daesh essuie de nombreux revers en Irak-Syrie, les médias occidentaux et la communauté
internationale font état de l’inquiétante progression du groupe
terroriste sur les terres libyennes. La Libye serait un point de
chute et une nouvelle tête de pont, donnant un second souffle aux
intentions expansionnistes de l’organisation.
La
fragilité politique, une condition nécessaire à la conquête d’un
nouveau territoire
Cinq ans après la chute du dictateur Mouammar Kadhafi, les espoirs
des mouvements révolutionnaires nationaux se sont transformés en
chaos, enlisés par de nombreuses milices armées émergentes dans le
pays. Une scission territoriale, vieille de plusieurs centaines
d’années, réapparait sous le regard inquiet des Libyens
combattant pour la libération. Deux parlements, deux gouvernements
se disputent la légitimité de la Libye. D’un côté, situé à
l’Ouest du pays, le gouvernement de Tripoli. Ce gouvernement
islamiste, non reconnu par la communauté internationale, est soutenu
par la coalition de milices islamistes, Fajr Libya. A sa tête,
Abdelhakim Belhadj, un ancien combattant d’Al-Qaïda dont la seule
motivation, sous l’ancien régime, était de destituer le colonel
Kadhafi. Troquant son treillis pour le costume, Belhadj se dispute
aujourd’hui le territoire libyen avec son nouvel ennemi public, le
général Haftar. Ce dernier est le chef militaire du gouvernement de
Tobrouk, situé en Cyrénaïque, à l’Est du pays. Issu des
élections de 2014, ce gouvernement est reconnu par les principaux
acteurs de la scène internationale.
Le 19 janvier 2016, un gouvernement d’union nationale se forme sous
la pression de la communauté internationale. L’élite libyenne est
au pied du mur. Elle doit trouver une solution pérenne face au vide
institutionnel qui plonge son pays dans le chaos depuis plusieurs années.
Cependant, et en dépit des injonctions internationales, le nouveau
gouvernement du premier ministre libyen, Fayez el-Serra, est rejeté
par les deux parlements rivaux de Tobrouk et Tripoli. Le remaniement
du 14 février 2016, censé représenter les grandes factions
libyennes, ne donnera guère plus d’effets : le gouvernement
se trouve encore sur la sellette par l’opposition de deux membres
du Conseil présidentiel. Cette ingérence politique force
l’Union Européenne à adopter des sanctions à l’encontre de
hauts responsables libyens accusés d’avoir commis et ordonné des
actes visant à entraver l’avancée du processus politique. Ainsi,
le 31 mars 2016, un gel des avoirs et une interdiction de voyager ont
été adoptés à l’encontre de trois personnalités publiques
libyennes.
Face à cette confusion et ce désordre, Daesh profite du chaos
politique pour étendre peu à peu ses tentacules. Bien avant
novembre 2014, date à laquelle Omar Al-Baghdadi revendique la
présence de l’organisation en Libye, le groupe terroriste
parsemait déjà ses hommes en Afrique du Nord (Maroc, Algérie,
Tunisie, Libye, Egypte, etc…). D’importants foyers de djihadistes
en Libye, liés au groupe d’Ansar al-Charia (Al-Qaïda), connurent
une histoire complexe face à l’émergence de Daesh sur leur
territoire. Plusieurs s’unirent au nouveau groupe comme à Syrte,
d’autres le repoussèrent aux portes de Derna. Quant aux entités
restantes, elles firent « front commun contre leurs ennemis,
les forces alliées du parlement de Tobrouk et le général
Haftar »1.
De la même façon qu’un certain nombre de cadres du parti Baas
sont partis rejoindre les membres de Daesh en Irak, plusieurs
éléments de l’ancienne garde de Kadhafi se sont ralliés au
groupe en Libye. La situation libyenne semble alors être atteinte
par le syndrome irakien. Le but est de créer des alliances avec les
diverses communautés présentes dans le pays et de s’unir avec les
multiples milices armées existantes. Si les chefs de ces dernières
n’acceptent pas les accords territoriaux, Daesh les intègre de
force en éliminant le chef.
Mais la stratégie du groupe terroriste ne s’arrête pas aux
alliances plus ou moins forcées. La Libye dispose d’une des
ressources pétrolières les plus importantes d’Afrique, lesquelles
sont estimées à 48 milliards de barils. En quête de nouveaux
financements, Daesh précipite ses actions offensives de part et
d’autre du croissant pétrolier pour pallier la baisse de revenus
en grande partie imputable aux frappes de la coalition internationale
au Levant. Ces attaques à répétition compromettent non seulement
la stabilité économique du pays mais engendrent également des
divisions communautaires. De nombreux champs pétroliers ont été
fermés en raison de la dégradation sécuritaire. D’autres ont vu
leur personnel faire grève et affirmer leur mécontentement à
l’égard de la classe politique dirigeante.
La
Libye, une ouverture vers l’Afrique et l’Europe.
Situé au centre de la bande côtière libyenne, entre les deux
régions rivales, Syrte permettrait au groupe d’exploiter un axe
reliant la Passe de Salvador à la Méditerranée. Par ailleurs, plus
de 4 000 kilomètres de frontières poreuses partagent
l’Algérie, le Niger et la Libye. Cette zone est le théâtre d’un
vide sécuritaire laissant les trafiquants de drogue, d’armes et
d’êtres-humains circuler en toute impunité.
Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) assoie sa puissance depuis de
nombreuses années en Afrique du Nord et au Mali. La progression de
de Daesh freine toutefois l’hégémonie de cet ancien frère de
rang, notamment par l’aspiration de certains groupuscules lui
prêtant allégeance. En outre, la continuité d’une stratégie
Nord-Est/Sud-Ouest serait le creuset propice à l’unification
militaire de certains groupes islamiques africains s’étant ralliés
à la cause de Daesh depuis son émergence en Libye. Boko-Haram au
Nigéria et le groupe terroriste d’Al-Mourabitoune, dirigée par
Walid Sahraoui au Mali, représentent une menace inquiétante pour la
stabilité de la région si ces factions venaient à coordonner leurs
actions. Plus à l’Est, l’Egypte fait aussi partie de la ligne de
mire du groupe terroriste Daesh. Actif depuis 2001 dans la péninsule
du Sinaï, Ansar Jerusalem a prêté allégeance à l’Etat
islamique en novembre 2014. Etendre l’influence du califat en
terres égyptiennes devient alors un des objectifs
politico-militaires de l’organisation terroriste. La dénomination
du territoire allié comme « Province du Sinaï »
(Wilayat Sinaï en arabe) en est une preuve.
D’autre part, l’implantation durable de Daesh en Libye pose le
problème des migrants. Ce que nous connaissons de l’épisode
syrien pourrait se transposer en Libye et en Afrique du Nord. En
fuyant dans un premier temps vers les pays limitrophes, la population
libyenne finirait par trouver refuge en Europe. Les derniers
événements ont montré que les flux migratoires sont de très bons
vecteurs du jihad. Ils permettent aux mouvements extrémistes de
s’infiltrer aux populations en désarroi et de former des têtes de
pont en Europe dans le but d’y commettre des attentats. Située à
quelques heures des côtes européennes, Syrte deviendrait alors une
plateforme d’importation du djihadisme en Europe.
Le
jeu de l’influence médiatique face à la concurrence
Daesh est très présent sur les réseaux sociaux. L’occupation de
cet espace numérique montre, une fois de plus, l’avancée du
groupe à l’égard de son concurrent, Al-Qaïda. Dans la sphère
virtuelle, le combat se construit autour du politique et de sa
propagande. C’est grâce au message véhiculé sur l’Internet que
de nombreuses personnes, se laissant convaincre par le prosélytisme
islamique extrémiste, viennent renforcer les rangs de Daesh.
En mettant en œuvre des « opérations séductions » sur
les réseaux sociaux auprès de la jeunesse maghrébine et
Sud-sahélienne tentée par le djihad, le nouveau fief de Daesh
attire de plus en plus de djihadistes venus de pays limitrophes à la
Libye. Plusieurs milliers de combattants de l’Etat Islamique libyen
sont notamment composés de Tunisiens, d’Algériens, d’Egyptiens,
de Tchadiens, de Maliens, de Soudanais, d’Irakiens et de Yéménites.
La montée en puissance de l’Etat Islamique a jeté une ombre
certaine sur l’influence d’Al-Qaïda en Afrique. La notoriété
se joue aujourd’hui par une surenchère dans la violence. Les
derniers attentats perpétrés par Al-Qaïda au Burkina Faso et en
Côte d’Ivoire nous en donnent la preuve. Ne nous leurrons pas, les
actes terroristes perpétrés par les deux groupes terroristes en
Europe et au Moyen-Orient sont en partie le désastreux reflet d’une
guerre médiatique. Reprendre les devants sur la scène médiatique
pour l’un et conserver une image de marque distinctive pour
l’autre, sont les objectifs des djihadistes numériques
d’aujourd’hui et de demain.
Ainsi, Daesh profite du chaos libyen pour étendre ses actions
terroristes en Afrique. Considérée comme une manne financière à
haut potentiel, la Libye revêt d’autres atouts stratégiques
l’aidant dans sa course aux territoires. Les différentes factions
djihadistes ayant rompu avec d’autres organisations terroristes
donnent l’occasion à Daesh de créer un front djihadiste plus
étendu. Le renforcement de l’organisation en Libye force la
communauté internationale à envisager une intervention militaire.
Aujourd’hui, la question est de savoir si l’ONU est prête à
s’engager sur les terres libyennes ou si la solution au conflit ne
se trouverait pas dans la création d’une coalition africaine.
1
REMY Jean-Philippe, « Comment l’Etat islamique est parti à
l’assaut de l’Afrique », Le Monde, 21 janvier 2016.
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