mardi 19 avril 2016

La déroute des soldats du Califat ?


Depuis plus d’un an, l’armée du Califat enchaine les revers militaires au Levant face à des ennemis toujours plus nombreux, qui lui opposent des offensives terrestres soutenues par des frappes aériennes lui infligeant de lourdes pertes, et ne lui laissant aucun répit. Attaquée au nord par les kurdes, à l’ouest par le régime syrien et ses nombreux alliés, à l’est par l’armée irakienne, et tout azimut dans des affrontements inter-djihadistes, l’organisation, qui a déjà cédé près d’un tiers de son territoire, est contrainte à être partout sur la défensive.


De Kobané à Palmyre, le recul des soldats de Daech

En dotant son « Califat » d’une assise territoriale, réalisant ainsi une partie de la prophétie coranique, Daech a réussi là où Al-Qaïda et sa politique de djihad déterritorialisé ont échoué. En juin 2014, le Califat autoproclamé avait confirmé sa stratégie de conquête territoriale, en appliquant en Irak et en Syrie la logique du « djihad offensif ». Suite aux défaites militaires des régimes syriens et irakiens et à l’intervention croissante d’acteurs internationaux, le vent tourne pour le Califat, contraint d’adopter une nouvelle posture, celle du « djihad défensif », avec pour objectif de consolider les territoires conquis.

Dès le début de l’année 2015, les soldats du Califat doivent battre en retraite devant les combattants kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), appuyés par les frappes de la coalition qui, après de longs mois d’intenses combats, parviennent à libérer Kobané assiégée du joug djihadiste. En s’emparant de Tal Abyad, point de passage stratégique vers la Turquie, quelques mois plus tard, les forces kurdes rallient leurs bastions en Syrie septentrionale. En mars, c’est au tour des troupes irakiennes et des milices chiites, aidées par Washington et Téhéran, de reprendre Tikrit, ancien fief de Saddam Hussein à dominance sunnite. En novembre, une victoire cruciale est à nouveau obtenue lorsqu’une route de communication entre l’Irak et la Syrie est coupée grâce à la prise de Sinjar par les forces kurdes irakiennes. Bénéficiant du soutien de la coalition, les forces irakiennes infligent un revers majeur à Daech en s’emparant de Ramadi le 8 décembre 2015, lavant l’affront de leur retraite chaotique six mois plus tôt. Fin mars 2016, la reconquête de Palmyre par les forces loyalistes aidées par leur allié russe est une défaite de prestige pour Daech, qui subit un nouvel échec dix jours plus tard en perdant le contrôle d’Al-Raï, son principal point de passage à la frontière syro-turque.


Poursuivis à travers le désert en direction de Deir-Ezzor, les soldats du Califat sont également menacés à Raqqa, où les milices kurdes de l’YPG se sont regroupées à une cinquantaine de kilomètres du fief djihadiste. De l’autre côté de la frontière, les combats font rage dans la région de Hit, et l’offensive contre Mossoul, la forteresse irakienne de Daech, est en phase avancée de préparation.


Une tactique militaire inopérante  

Lors de la phase d’expansion du Califat, les unités de Daech avaient remporté de nombreuses victoires stratégiques en opérant selon les tactiques militaires des armées régulières, à savoir des assauts de grande ampleur pensés dans un cadre de guerre quasi-conventionnelle par une hiérarchie formée pour l’essentiel par d’anciens officiers de la garde républicaine de Saddam Hussein.
Progressivement, et face aux réactions qui lui sont opposées, un glissement s’est opéré dans la tactique militaire de Daech. Sous l’impulsion d’Abou Omar al-Chichani, nommé émir de l’armée du Califat en juin 2014 après la mort d’Abou Abdel Rahman al-Bilaoui. Le « Général de l’armée noire » – dont les compétences tactiques ont parfois été remises en cause – semble avoir largement contribué à façonner le nouvel « art de la guerre » du Califat, qui repose désormais essentiellement sur des méthodes de combat insurrectionnel dans un contexte de guerre asymétrique, où l’accent est mis sur les techniques de guérilla urbaine et les actions kamikazes.
N’ayant plus lancé d’offensive d’envergure depuis la prise de Palmyre en mai 2015, la branche militaire de Daech éprouve aujourd’hui de grandes difficultés à tenir un front, et se voit contrainte à des actions désespérées menées par ses « brigades des martyrs ». Si sa capacité de nuisance reste forte, ce mode opératoire n’est plus celui d’un Etat qu’il se prétend être, et le coût humain et matériel de ces attaques aveugles, comparable à celui des Talibans afghans, nuit à son influence dans les cœurs et les esprits des populations locales. Les adversaires de Daech doivent exploiter cette faille pour gagner à leur cause les habitants sunnites souvent hostiles à leur présence.


Une armée diminuée, décapitée, et démoralisée
En juin 2014, Abu Bakr al-Baghdadi triomphe à Mossoul où il proclame l’avènement du Califat, et revendique être à la tête d’une armée de 50 000 hommes – les estimations les plus crédibles tablent alors davantage sur 35 000 soldats. Depuis, les offensives terrestres des armées syrienne et irakienne, amplifiées par les bombardements massifs de la coalition internationale et de la Russie, et juxtaposées aux opérations menées par les autres factions armées, ont occasionné de très nombreuses pertes dans les rangs de l’organisation, dont les effectifs ne dépasseraient pas aujourd’hui les 25 000 hommes. En moins de deux ans, le Califat aurait ainsi perdu près d’un tiers de son territoire et tout autant de son « armée ».


Si la troupe s’amenuise, la chaine de commandement militaire de l’organisation n’est pas épargnée. Ainsi, alors qu’Abou Muslim al-Turkmeni, chef des opérations en Irak, est tué le 18 août dernier par une frappe aérienne de la coalition, Abou Ali al-Anbari – son homologue pour la Syrie – aurait choisi de fuir pour la Libye. Depuis plusieurs mois, les bombardements ciblés de drones américains éliminent minutieusement les cadres intermédiaires qui forment l’ossature des forces militaires de Daech.
Alors que les victoires du Califat avaient souvent été remportées face à des armées régulières en fuite, manquant de motivation et d’organisation, les récents revers militaires de Daech redonnent de l’espoir aux différents acteurs qui se battent au sol. De plus en plus isolée militairement, l’organisation ne bénéficie plus que du soutien de quelques groupes et tribus sunnites, dont certaines commencent à faire défection, habitées par le doute semé par les frappes aériennes russo-américaines et l’envoi de « conseillers techniques » et de forces spéciales sur le sol levantin. A Palmyre, les djihadistes de Daech se sont repliés précipitamment, confirmant les rumeurs d’abattement et de lassitude des troupes propagées par un général irakien dans les colonnes du Washington Post en mars dernier. Bombardés sur tous les fronts, les djihadistes doivent également faire face à l’effondrement de leur économie pétrolière, qui a conduit l’organisation à diviser leur salaire par deux.


Les retombées internationales des défaites locales

Affaibli militairement, confiné géographiquement, étranglé économiquement, le Califat se replie sur d’autres terrains.
D’aucuns voient dans l’agression extérieure permanente, matérialisée par les terribles massacres de Beyrouth, Paris, ou Bruxelles, ou par l’explosion de l’avion de ligne russe au-dessus du Sinaï une manière pour Daech de faire diversion vis-à-vis des défaites subies par le Califat sur front intérieur. L’organisation pourrait ainsi tenter de camoufler ses revers militaires et le coup d’arrêt porté à son projet territorial en envoyant ses commandos terroristes, formés au Levant, provoquer des attentats partout dans le monde pour frapper le cœur de ses ennemis. Pour d’autres, le terrorisme à l’étranger ferait partie intégrale de la stratégie militaire de Daech, qui en multipliant le nombre d’attentats à l’extérieur augmenterait la probabilité d’une intervention des puissances occidentales au sol au Levant, provoquant alors l’arrivée du messie et la grande bataille finale de l’islam.
Acculé en Syrie et en Irak, Daech pourrait également chercher à relancer son expansion territoriale sur les wilayas asiatiques et maghrébines de l’ancien Califat abbasside de Bagdad. C’est en Libye, profitant du chaos dans lequel est plongé le pays depuis la chute du colonel Mouammar Kadhafi, que l’armée du Califat semble avoir implanté ses nouvelles bases. En redéployant une partie de ses forces et de son arsenal militaire à Syrte, l’organisation espère sans doute donner un nouveau souffle à sa viabilité territoriale et redorer le blason d’une armée chancelante.

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