Depuis
plus d’un an, l’armée du Califat enchaine les revers militaires
au Levant face à des ennemis toujours plus nombreux, qui lui
opposent des offensives terrestres soutenues par des frappes
aériennes lui infligeant de lourdes pertes, et ne lui laissant aucun
répit. Attaquée au nord par les kurdes, à l’ouest par le régime
syrien et ses nombreux alliés, à l’est par l’armée irakienne,
et tout azimut dans des affrontements inter-djihadistes,
l’organisation, qui a déjà cédé près d’un tiers de son
territoire, est contrainte à être partout sur la défensive.
De Kobané à Palmyre, le recul des soldats de Daech
Dès
le début de l’année 2015, les soldats du Califat doivent battre
en retraite devant les combattants kurdes des Unités de protection
du peuple (YPG), appuyés par les frappes de la coalition qui, après
de longs mois d’intenses combats, parviennent à libérer Kobané
assiégée du joug djihadiste. En s’emparant de Tal Abyad, point de
passage stratégique vers la Turquie, quelques mois plus tard, les
forces kurdes rallient leurs bastions en Syrie septentrionale. En
mars, c’est au tour des troupes irakiennes et des milices chiites,
aidées par Washington et Téhéran, de reprendre Tikrit, ancien fief
de Saddam Hussein à dominance sunnite. En novembre, une victoire
cruciale est à nouveau obtenue lorsqu’une route de communication
entre l’Irak et la Syrie est coupée grâce à la prise de Sinjar
par les forces kurdes irakiennes. Bénéficiant du soutien de la
coalition, les forces irakiennes infligent un revers majeur à Daech
en s’emparant de Ramadi le 8 décembre 2015, lavant l’affront de
leur retraite chaotique six mois plus tôt. Fin mars 2016, la
reconquête de Palmyre par les forces loyalistes aidées par leur
allié russe est une défaite de prestige pour Daech, qui subit un
nouvel échec dix jours plus tard en perdant le contrôle d’Al-Raï,
son principal point de passage à la frontière syro-turque.
Poursuivis
à travers le désert en direction de Deir-Ezzor, les soldats du
Califat sont également menacés à Raqqa, où les milices kurdes de
l’YPG se sont regroupées à une cinquantaine de kilomètres du
fief djihadiste. De l’autre côté de la frontière, les combats
font rage dans la région de Hit, et l’offensive contre Mossoul, la
forteresse irakienne de Daech, est en phase avancée de préparation.
Une tactique militaire inopérante
Lors
de la phase d’expansion du Califat, les unités de Daech avaient
remporté de nombreuses victoires stratégiques en opérant selon les
tactiques militaires des armées régulières, à savoir des assauts
de grande ampleur pensés dans un cadre de guerre
quasi-conventionnelle par une hiérarchie formée pour l’essentiel
par d’anciens officiers de la garde républicaine de Saddam
Hussein.
Progressivement,
et face aux réactions qui lui sont opposées, un glissement s’est
opéré dans la tactique militaire de Daech. Sous l’impulsion
d’Abou Omar al-Chichani, nommé émir de l’armée du Califat en
juin 2014 après la mort d’Abou Abdel Rahman al-Bilaoui. Le
« Général de l’armée noire » – dont les
compétences tactiques ont parfois été remises en cause – semble
avoir largement contribué à façonner le nouvel « art de la
guerre » du Califat, qui repose désormais essentiellement sur
des méthodes de combat insurrectionnel dans un contexte de guerre
asymétrique, où l’accent est mis sur les techniques de guérilla
urbaine et les actions kamikazes.
N’ayant
plus lancé d’offensive d’envergure depuis la prise de Palmyre en
mai 2015, la branche militaire de Daech éprouve aujourd’hui de
grandes difficultés à tenir un front, et se voit contrainte à des
actions désespérées menées par ses « brigades des
martyrs ». Si sa capacité de nuisance reste forte, ce mode
opératoire n’est plus celui d’un Etat qu’il se prétend être,
et le coût humain et matériel de ces attaques aveugles, comparable
à celui des Talibans afghans, nuit à son influence dans les cœurs
et les esprits des populations locales. Les adversaires de Daech
doivent exploiter cette faille pour gagner à leur cause les
habitants sunnites souvent hostiles à leur présence.
Une armée diminuée, décapitée, et démoralisée
En
juin 2014, Abu Bakr al-Baghdadi triomphe à Mossoul où il proclame
l’avènement du Califat, et revendique être à la tête d’une
armée de 50 000 hommes – les estimations les plus crédibles
tablent alors davantage sur 35 000 soldats. Depuis, les
offensives terrestres des armées syrienne et irakienne, amplifiées
par les bombardements massifs de la coalition internationale et de la
Russie, et juxtaposées aux opérations menées par les autres
factions armées, ont occasionné de très nombreuses pertes dans les
rangs de l’organisation, dont les effectifs ne dépasseraient
pas aujourd’hui les 25 000 hommes. En moins de deux ans, le
Califat aurait ainsi perdu près d’un tiers de son territoire et
tout autant de son « armée ».
Si
la troupe s’amenuise, la chaine de commandement militaire de
l’organisation n’est pas épargnée. Ainsi, alors qu’Abou
Muslim al-Turkmeni, chef des opérations en Irak, est tué le 18 août
dernier par une frappe aérienne de la coalition, Abou Ali al-Anbari
– son homologue pour la Syrie – aurait choisi de fuir pour la
Libye. Depuis plusieurs mois, les bombardements ciblés de drones
américains éliminent minutieusement les cadres intermédiaires qui
forment l’ossature des forces militaires de Daech.
Alors
que les victoires du Califat avaient souvent été remportées face à
des armées régulières en fuite, manquant de motivation et
d’organisation, les récents revers militaires de Daech redonnent
de l’espoir aux différents acteurs qui se battent au sol. De plus
en plus isolée militairement, l’organisation ne bénéficie plus
que du soutien de quelques groupes et tribus sunnites, dont certaines
commencent à faire défection, habitées par le doute semé par les
frappes aériennes russo-américaines et l’envoi de « conseillers
techniques » et de forces spéciales sur le sol levantin. A
Palmyre, les djihadistes de Daech se sont repliés précipitamment,
confirmant les rumeurs d’abattement et de lassitude des troupes
propagées par un général irakien dans les colonnes du Washington
Post en mars dernier. Bombardés sur tous les fronts, les djihadistes
doivent également faire face à l’effondrement de leur économie
pétrolière, qui a conduit l’organisation à diviser leur salaire
par deux.
Les retombées internationales des défaites locales
Affaibli
militairement, confiné géographiquement, étranglé économiquement,
le Califat se replie sur d’autres terrains.
D’aucuns
voient dans l’agression extérieure permanente, matérialisée par
les terribles massacres de Beyrouth, Paris, ou Bruxelles, ou par
l’explosion de l’avion de ligne russe au-dessus du Sinaï une
manière pour Daech de faire diversion vis-à-vis des défaites
subies par le Califat sur front intérieur. L’organisation pourrait
ainsi tenter de camoufler ses revers militaires et le coup d’arrêt
porté à son projet territorial en envoyant ses commandos
terroristes, formés au Levant, provoquer des attentats partout dans
le monde pour frapper le cœur de ses ennemis. Pour d’autres, le
terrorisme à l’étranger ferait partie intégrale de la stratégie
militaire de Daech, qui en multipliant le nombre d’attentats à
l’extérieur augmenterait la probabilité d’une intervention des
puissances occidentales au sol au Levant, provoquant alors l’arrivée
du messie et la grande bataille finale de l’islam.
Acculé
en Syrie et en Irak, Daech pourrait également chercher à relancer
son expansion territoriale sur les wilayas
asiatiques et maghrébines de l’ancien Califat abbasside de Bagdad.
C’est en Libye, profitant du chaos dans lequel est plongé le pays
depuis la chute du colonel Mouammar Kadhafi, que l’armée du
Califat semble avoir implanté ses nouvelles bases. En redéployant
une partie de ses forces et de son arsenal militaire à Syrte,
l’organisation espère sans doute donner un nouveau souffle à sa
viabilité territoriale et redorer le blason d’une armée
chancelante.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire