Abou Bakr al-Baghdadi a beau se dire descendant du prophète Mahomet, de la lignée des Abbassides, et s’autoproclamer « calife », il n’en demeure pas moins un homme plus inspiré par les grands principes de la manipulation des foules que par la parole divine.
Capture d'écran de la vidéo du prêche d’al-Baghdadi publiée le 6 juillet 2014 |
L’héritier du prophète
Le 29 juin 2014, Abou Bakr al-Baghdadi s’autoproclame calife, c’est-à-dire chef suprême, tant spirituel que temporel, de la communauté musulmane, et devient « calife Ibrahim ».Ainsi, il reprend son prénom d’origine, puisqu’il est né Ibrahim Awad Ibrahim Al-Badry, après s’être fait appeler Abou Bakr al-Baghdadi al-Husseini al-Qurashi, al Qurashi faisant référence au clan du prophète. Le titre de calife, le mot arabe « khalifa » signifiant « successeur », lui confère donc l’aura du prophète Mahomet en l’intégrant à sa lignée, dont son nom d’emprunt fait mention.
La méthode infaillible pour devenir un gourou
au nom d’Allah en 5 leçons
Outre cet
héritage bricolé, cette résistible ascensioni
répond à un mécanisme devenu classique depuis sa théorisation au
XIXe siècle par Gustave Le Bon. En effet, dès 1895, dans
Psychologie
des foules,
ce médecin postule que le groupe n’est pas la juxtaposition
d’individus, mais que le sentiment communautaire lui confère une
« âme » propre. Cette théorie devient vite très
populaire auprès des dirigeants des états démocratiques, mais
aussi des dictatures. Manifestement, elle n’est pas étrangère non
plus à al-Baghdadi.
Etape 1 : Avoir une révélation
« Le
meneur a d’abord été le plus souvent un mené hypnotisé par
l’idée dont il est ensuite devenu l’apôtre. Elle l’a envahi
au point que tout disparaît en dehors d’elle, et que toute opinion
contraire lui paraît erreur et superstition. »ii
Ainsi,
Gustave Le Bon nous explique qu’un meneur n’est pas forcément
particulièrement brillant, mais qu’il a une foi inébranlable en
sa croyance. Al-Baghdadi, même s’il s’impose comme un guide
spirituel est avant tout un homme d’action. Ce qui le motive
fondamentalement ce n’est pas la foi. En effet, quel que soit les
fragilités et les mystères que posent sa croyance, il ne peut les
interroger au risque de remettre en question le système sur lequel
sa vie repose toute entière. La radicalisation de sa pensée en est
donc la clé de voute.
Etape 2 : Identifier sa « foule-cible »
Tout
d’abord, la foule, telle que décrite par Le Bon, n’est pas un
rassemblement dû au hasard, mais une réunion d’individus soumis à
une forte stimulation émotionnelle, et donc en état de
suggestibilité.
Al-Baghdadi n’a pas eu à chercher « sa »
foule très loin : l’Irak après le joug de la dictature de
Saddam Hussein et depuis l’intervention des Etats-Unis est à feu
et à sang et la guerre civile sévit en Syrie. Nombre d’esprits
échauffés, épuisés ou encore déstabilisés par le chaos sont
prêts à recevoir un message promettant l’ordre, la stabilité et
la fraternité.
De la même manière, les jeunes européens qui ne
trouvent pas leur place au sein de leur communauté sont séduits par
l’aventure du djihad qui, ils l’imaginent, donnera un sens à
leur vie, voire à leur mort. Seuls devant leur écran, ils se
laissent envahir par les produits de propagande que DAESH met en
ligne avec leur iconographie, leur vocabulaire et la promesse de
rejoindre une société soudée qui construit son idéal avec une
détermination qui excuse les pires violences.
Infographies pro-djihadistes diffusées sur Twitter |
Etape 3 : Bâtir sa doctrine
« Créer
la foi, qu’il s’agisse de foi religieuse, politique ou sociale,
de foi en une œuvre, en une personne, en une idée, tel est surtout
le rôle des grands meneurs. »
Là
non plus il n’est pas question de débattre, d’argumenter ni de
philosopher. Al-Baghdadi entend imposer une pratique religieuse à la
pureté mythique, qu’il situe au temps de la dynastie des
Abbassides, qui a régné de 750 à 1258, et considéré comme l’âge
d’or de l’Islam. Il sert ainsi aux égarés, malheureux, faibles…
un référentiel et un modèle comportemental fonctionnel qui les
inscrit dans une dynamique salutaire en les dispensant de réfléchir
à leur façon d’être au monde. Le despotisme du leader n’apparaît
donc pas comme un frein pour ses disciples mais comme une rigueur extrême
et rassurante, révélatrice de son orthodoxie.
Infographie diffusée sur Twitter |
Etape 4 : Induire son message par l’affirmation et la répétition
« L’affirmation
pure et simple, dégagée de tout raisonnement et de toute preuve,
constitue un sûr moyen de faire pénétrer une idée dans l’esprit
des foules. Plus l’affirmation est concise, dépourvue de preuves
et de démonstration, plus elle a d’autorité. »
Le
discours de Al-Baghdadi du 29 juin 2014 ne produit pas de preuves
mais repose autour d’une formule magique au caractère universel
« Allah a dit » suivie une affirmation rendue
incontestable par l’autorité du calife.
« Cette
dernière n’acquiert cependant d’influence réelle qu’à la
condition d’être constamment répétée, et le plus possible, dans
les mêmes termes. »
Ainsi,
le vocabulaire de la propagande de DAESH fait appel à un corpus de
mots limités, on y retrouve systématiquement les combattants, les
mécréants, la vérité, la fraternité… De la même manière,
certains thèmes sont inlassablement exploités comme la justice pour
les croyants, la douceur de vie au Sham, les bienfaits de la
soumission à la volonté divine contre les châtiments…
Etape 5 : Laisser se propager ses commandements par contagion
« Dans
les foules, les idées, les sentiments, les émotions, les croyances
possèdent un pouvoir contagieux aussi intense que celui des
microbes. »
Fort
de la connaissance de ce phénomène Al-Baghdadi en démultiplie les
effets par une politique de communication redoutable en mettant en
ligne une multitude de produit de propagande tels que des
compositions iconographiques, photographies, films, magazines en
ligne…, dont les exemples fourmillent sur internet.
Prestige et prestidigitateur
Cette méthode étant parfaitement appliquée,
Al-Baghdadi n’a plus qu’à jouir de ce que Le Bon appelle le
prestige.
« Le
prestige est en réalité une sorte de fascination qu’exerce sur
notre esprit un individu, une œuvre ou une doctrine. Cette
fascination paralyse toutes nos facultés critiques et remplit notre
âme d’étonnement et de respect. »
Il
distingue tout d’abord le prestige acquis qui fait référence au
nom, à la fortune ou la réputation et qui est décorrélé de la
valeur intrinsèque de l’individu. Ainsi, lorsqu’Al-Baghdadi se
présente comme le nouveau calife et qu’il arbore sa longue barbe,
son turban et son abaya, véritable uniforme du « vrai »
musulman, il cultive son image de messager d’Allah.
Quant au
prestige de sa doctrine, il lui fait prendre son origine dans
l’histoire de l’Orient et affiche sa puissance par la propagande.
A cet effet, les événements à faire connaître sont soigneusement
choisis et savamment dosés entre la démonstration de l’immense
fraternité qui anime les fidèles et l’impitoyable terreur qu’ils
cherchent à infliger à ceux qu’ils considèrent comme leurs
ennemis, c’est-à-dire les musulmans non salafistes radicaux, les
juifs, les chrétiens, les homosexuels…, en diffusant des vidéos
parfaitement scénarisées d’exécutions barbares dont les modes
défient l’imagination.
En revanche, Al-Baghdadi ne semble pas être
doté d’un exceptionnel prestige personnel que Le Bon nommerait
certainement aujourd’hui le charisme. En effet, bien qu’il soit
particulièrement discret, sans doute par stratégie, il a été
décrit comme un étudiant médiocre qui faute d’être reçu en
faculté de droit s’est tourné vers la théologie.
Ainsi, le succès d’un gourou reposerait donc sur
deux principes d’une grande simplicité :
- apparaître comme
l’Elu qui détient la vérité divine,
- et proposer une vision
dichotomique du monde, avec ceux qui croient et seront sauvés et
les autres,
ce qui permet ensuite d’être élitiste, de ne pas
tolérer la controverse, d’exiger la soumission, d’annihiler les
facultés de raisonnement de ses disciples, de terroriser ceux qui
sortiraient de leur transe, d’éliminer ceux qui, en conscience, ne
lui auraient pas fait allégeance… et de figurer dans le TOP10 des
terroristes les plus recherchés, dont la capture est récompensée
par 10 millions de dollars offerts par le gouvernement des
Etats-Unis.
i
Cf La résistible ascension d’Arturo Ui, pièce de théâtre
de Bertolt Brecht de 1941 qui évoque, en la transposant,
l’accession d’Hitler au pouvoir.
ii
Les citations de cet article sont extraites de Psychologie des
foules, Gustave Le Bon, Collection Quadrige, Editions PUF, 1963.
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