Au
travers de sa propagande délétère, Daesh fait sien de nombreux
concepts islamiques et les détourne de leur sens originel dans le
but de justifier ses exactions.
Cet
article entend mettre en évidence la façon dont le groupe
terroriste s’approprie le Coran en prenant pour exemples le concept
du pluralisme et la notion d’apocalypse.
Le
pluralisme affirmé dans le texte
La
doctrine islamique du pluralisme découle d’un principe logique :
Dieu est Un, Dieu est seule Vérité, Dieu est seule Unicité ;
ainsi tout ce qui est autre que lui ne peut être que multiplicité.
Pour l’Islam, la diversité de la création n’est que
l’expression de la création divine. Le Coran affirme ainsi :
« Si
ton Seigneur l’avait voulu, Il aurait fait des hommes une
communauté unique, mais ils ont encore des différends, sauf ceux
auquel ton Seigneur a fait miséricorde. C’est même pour cela
qu’Il les a créés »
[Sourate
11-Verset 118]
« Nous
vous avons établis en peuples et en tribus pour que vous vous
entre-connaissiez »
[Sourate
49 - Verset 13]
La
reconnaissance et la tolérance des autres cultures et croyances fait
donc partie intégrante de la pratique de l’Islam. Le passage
suivant l’illustre également :
« A
chacun de vous Nous avons assigné un plan à suivre. Si Allah avait
voulu, certes Il aurait fait de vous une seule communauté. Mais Il
veut vous éprouver en ce qu’Il vous donne. Concurrencez donc dans
les bonnes œuvres. C’est vers Allah qu’est votre retour à
tous ; alors Il vous informera de ce en quoi vous divergez »
[Sourate
5-Verset 48]
Le
pluralisme dans les faits
Jamais
depuis la mort du prophète les musulmans ne se sont accordés sur
une autorité religieuse unique. Pourtant, la nécessité de
respecter les différences a rapidement fait consensus parmi les
fidèles du prophète dès lors que les principes fondamentaux de
l’Islam étaient respectés. L’unicité de Dieu, reconnaître
Mahomet comme le prophète et ne pas vénérer des idoles en sont les
principaux exemples.
La
notion de pluralisme s’est affirmée à la suite d’une succession
d’événements. En 656, Ali Ibn Abi Talib1,
alors calife, est accusé par Muawiyah Ibn Abi Sufyan2
d’avoir assassiné son prédécesseur le 3ème calife
bien dirigé3,
Othman.
Refusant
de livrer bataille à Muawiyah, Ali s’en remet à l’arbitrage
humain et perd sa position de calife au profit de son ennemi.
Simultanément, un schisme éclate et les trois principaux courants
de l’Islam se forment : le chiisme, le sunnisme et le
kharijisme. Ce dernier courant, à l’origine partisan d’Ali, s’en
est désolidarisé lorsque ce dernier a remis le choix du calife au
jugement humain.
En
661, la secte des Azraqites, issu des Kharijites, a remis en question
l’idée de pluralisme. Faisant preuve d’intransigeance
dogmatique, les Azraqites considéraient comme apostats ceux qui ne
les rejoignaient pas dans leur révolte. Ils appliquaient un
véritable terrorisme fanatique en tuant et en réduisant en
esclavage tous les musulmans qui n’adhéraient pas à leur
doctrine.
Les
divergences qui ont donc déchiré les premières générations de
fidèles, provoquant l’émergence du sunnisme et du chiisme, et les
exactions commises par la secte azraqite, ont par réaction conforté
les musulmans dans la nécessité de reconnaître les divergences
d’opinion. La secte des Azraqites se servaient de la religion pour
masquer des fins politiques. Ils s’autoproclamaient dirigeants
légitimes de la communauté musulmane et pratiquaient la conversion
forcée (Istirad) alors que de nombreux versets rejetaient
toute coercition en matière religieuse :
« Si
ton Seigneur l’avait voulu, tous les habitants de la terre sans
exception auraient cru ; voudrais-tu contraindre les gens à
devenir croyants »
[Sourate
10-Verset 99]
« Pas
de contrainte en matière de religion »
[Sourate
2-Verset 256]
Difficile
de ne pas voir les similitudes entre Daesh et les Azraqites. A la
manière de cette secte du début de l’ère islamique,
l’organisation terroriste considère comme licite le fait de tuer
tout homme qui n’adhère pas à son interprétation de l’Islam.
Détruire les biens, massacrer ou asservir les femmes et les enfants
des apostats devient alors pour eux légitime. Ainsi, Daesh, tout
comme les Azraqites, a détruit toute idée de pluralisme au sein de
l’islam.
Daesh
animé par une vision apocalyptique
« La
connaissance de l’Heure est auprès d’Allah ; et c’est Lui
qui fait tomber la pluie salvatrice ; et Il sait ce qu’il y a
dans les matrices. Et personne ne sait dans quelle terre Il mourra.
Certes Allah est Omniscient et Parfaitement Connaisseur ».
[Sourate
31-Verset 34]
Les
musulmans considèrent que seul Dieu sait de quoi sera fait l’avenir.
Daesh s’écarte à cet égard des autres mouvements djihadistes
dans le sens où, au lieu d’attendre que Dieu provoque la fin des
temps, l’organisation espère la précipiter par ses agissements. A
partir d’une simple citation, le groupe terroriste se proclame de
l’armée des justes citée par le prophète :
« La
meilleure garnison de musulmans au jour de la Grande Mêlée sera
située à Ghûta, à proximité de Damas, l’une des meilleures
villes du Shâm »
Abû
Al Dardâ, compagnon du prophète
Daesh
se dote des attributs du Mahdî, littéralement « le
bien-dirigé », figure de Messie qui guidera les croyants lors
de la bataille finale contre l’Antéchrist :
« Il
reçoit le soutien des gens de l’Orient, dote ses armées
d’étendards noirs et s’était couvert la tête d’un turban
noir »
Ibn
Kathir, compagnon du prophète
En
se parant ainsi, Daesh espère légitimer son image auprès de ses
potentielles recrues en se rendant conforme à la prophétie.
L’organisation justifie ses attaques au Levant pour lutter contre
l’Antéchrist avec le Hadith suivant :
« L’heure
ne sonnera pas avant que les Rum (Byzantins) ne s’établissent à
A’maq ou à Dabiq, et qu’une armée, composée des meilleurs
hommes de la terre en ce jour, ne se porte au-devant d’eux (…)
c’est quand ils seront arrivés à Damas que le Messie apparaîtra »
Abou
Houraira, compagnon du prophète
A
la question « Daesh est-il islamique ? » nous
pouvons répondre « oui ». Effectivement, Daesh est une
secte d’inspiration islamique mais elle n’est en aucun cas
l’Islam.
En
faisant fi du pluralisme, Daesh se déleste d’un concept essentiel
de l’Islam, celui de la paix par l’acceptation de la diversité.
En effet, contrairement à la lecture rétrograde du Coran faite par
Daesh et les « savants » que cette secte prend pour
guides4,
celui-ci établit l’universalisme de la révélation ainsi que la
diversité inter et intra religieuse.
Enfin,
en s’appropriant l’eschatologie islamique, Daesh s’arroge
purement et simplement le droit de « provoquer » une
prophétie dont, selon le texte saint de l’islam, seul Dieu devrait
être maître.
« Allah n’aime pas les insolents pleins de gloriole »
[Sourate
31 -Verset 18]
Références bibliographiques
:
Le
Coran
MONTGOMERY
WATT, W., Islam and
the Integration of society, Abingdon:
Routledge and Kegan Paul Ltd, 1961.
SEDDIKI,
Z., La Pluralité
dans l’Islam,
Tawid, 2005.
« L’apocalypse
d’hier à demain », Le Monde des Religions,
Hors-série, n° 26, juin 2016.
1
Fils
d’Abû Tâlib, oncle du prophète Mahomet, il est également son
gendre. Il a été le quatrième calife de l’Islam de 656 à 661.
3
Terme
qualifiant les quatre premiers califes de l’Islam qui ont connu le
prophète de son vivant.
Félicitations pour votre blog.
RépondreSupprimer