mercredi 13 juillet 2016

Daesh : une propagande destinée à qui, et à quelle(s) fin(s) ?


« On donne à Daesh une importance médiatique démesurée », Inaglobal1

 « La philosophie nous enseigne à douter de ce qui nous paraît évident. La propagande, au contraire, nous enseigne à accepter pour évident ce dont il serait raisonnable de douter. »
Aldous Huxley, Retour au meilleur des mondes.

Les messages de l’organisation terroriste ne se limitent pas à des revendications ou des discours religieux mais font l’objet de « produits » médiatiques dignes d’agences de marketing ou de publicité, ce qui peut paraître curieux pour un groupe paramilitaire qui se présente comme l’unique représentant sur terre de la volonté et de la justice divines.
La violence à outrance de ses productions, les moyens matériels et humains alloués à ses sociétés de productions, comme "El Hayat Media Center" ou « An Nûr Media », et à leurs unités de reportage sur le terrain, copiées sur les « combat camera teams » des armées occidentales, sont révélateurs d’une réelle politique de saturation de l’espace médiatique. Cette pratique peut renvoyer à l’outil de destruction du libre-arbitre mis en place par Joseph Goebbels au profit de l’idéologie nazie.
Notre attention est également attirée par les codes utilisés dans les produits médiatiques de Daesh similaire à ceux de l’Occident, contre lesquels l’organisation se pose en opposition frontale. Ce paradoxe est à noter et prend tout son sens si l’on admet que la propagande de Daesh pourrait avoir pour cible première l’Occident, comme le démontre l'utilisation de langues occidentales pour des publics ciblés ou les mises en scènes dignes d’un péplum.
Soit, admettons-le, Daesh a mis en place un outil de propagande à la mesure de ses aspirations hégémoniques, mais quels sont les enseignements que nous pouvons en tirer ? La mise en œuvre d’une propagande orchestrée, structurée et dotée de moyens conséquents est un outil dans lequel l’organisation n’aurait pas investi si elle n’en attendait pas des effets en retour.

Un outil d’appui aux combattants
L’obtention d’un ascendant sur le terrain
Lors de la prise de Mossoul en Irak en juin 2014, les hommes de Daesh étaient moins nombreux que les policiers de la ville. Néanmoins, la violence des images diffusées et l’horreur des supplices mis en scène sur les réseaux sociaux ont terrorisé la population et les forces de l’ordre, au point que les groupes armés de Daesh ont pu prendre la ville sans rencontrer de résistance notable. Le rapport de force a ainsi pu être inversé grâce aux effets bien réels de l’horreur véhiculée par l’image.

Un effet de sidération sur les opinions publiques
Dans le même ordre d’idées, la violence et la cruauté des images, mises en scène avec emphase, provoquent un état de choc chez le spectateur et inoculent un germe de la défaite au sein des démocraties qui s’opposent à l’organisation dite « État islamique ».
Par ailleurs, le principe des exécutions-spectacles est utilisé par l’organisation terroriste afin de transmettre une idéologie de l’obéissance et interdire tout doute sur la culpabilité du supplicié. Elles ont vocation à dissuader ceux qui pourraient s’opposer à la règle imposée, par la peur du châtiment.
Bref, c’est une forme de prise de pouvoir sur les opinions publiques locales…

Un outil de recrutement


« Le dessin sur daesh refusé du Weekend », Les humeurs d’Oli2

 
Les techniques de combat de Daesh, faisant largement appel à l’usage de chair à canon et de combattants-suicide, nécessitent par la force des choses un renouvellement permanent des combattants, que seule une stratégie cynique de recrutement de masse permet d’obtenir.

Pour celles et ceux qui rêvent d’aventure et d’action, la présentation d’un Levant idéalisé, scénographié comme une superproduction hollywoodienne, les incite à venir combattre bien loin de la dure réalité du quotidien.

Les films sont des vecteurs d'influence, d'attraction et de séduction très efficaces. La cause est présentée comme sacrée, alors qu’elle ne sert en réalité que les intérêts très prosaïques de quelques privilégiés du système. C’est une escroquerie intellectuelle qui fonctionne comme ces lampes aux ultraviolets destinées à électrocuter les insectes…

La cible de Daesh n’est en aucun cas constituée par les érudits de l’Islam, ni les intellectuels laïcs, qui fuient spontanément cette hydre malade. Il s’agit davantage d’un terreau inculte en quête de sens et d’action, en échec dans sa vie personnelle, sociale et spirituelle, qui sera bien plus malléable et qui acceptera plus facilement d’aller sacrifier sa vie dans un attentat-suicide, après une préparation psychologique froidement adaptée.

Des vidéos, sonorisées par des nasheed - ces chants a capella reconditionnés pour correspondre à la représentation mentale de l’organisation - et un discours idéologique superficiel qui se focalise sur l’aspect ludique et festif du djihad, cherchent à obtenir un pouvoir d’attraction fort sur des adolescents immatures.  Les pulsions de mort et les pulsions de vie s’entremêlent dans un ballet qui a pour vocation de fasciner les futures recrues.

Daesh a bien retenu la leçon de ces sectes qui recrutent des laissés-pour-compte au moyen de sondages sur l’épanouissement personnel. Cette machine à broyer les êtres a industrialisé le processus en utilisant des moyens de diffusion de masse, comme les réseaux sociaux.

Quelques mystificateurs machiavéliques, confortablement installés dans des territoires sous contrôle, utilisent des techniques de manipulation des masses qui auraient fait pâlir les Nazis de jalousie.

Un outil d’autojustification et de légitimation

Daesh souhaite faire croire à sa toute-puissance, son invincibilité.
C’est un des stigmates de la projection de l’égo démesuré de son chef, calife autoproclamé à la place du calife, qui veut nous faire croire qu’il transcende la réalité.

C’est aussi un moyen de galvaniser ses propres troupes, de créer des mythes artificiels et de les illustrer. Daesh détourne des versets du Coran et utilise l’iconographie des figures politiques du monde arabe médiéval pour les modeler à son avantage. Son exégèse inavouée des textes sacrés lui permet de faire dire au Prophète ce qui l’arrange et de récupérer à son profit l’image du cavalier arabe guerrier et victorieux. Mais Daesh ne trompe personne…

Il y a là une volonté de construire une véritable mythologie factice au moyen de récits épiques fondateurs, de s’inscrire dans l’imaginaire universel pour véhiculer un embryon de doctrine qui fascinera les faibles.

Les productions médiatiques de Daesh proposent aussi un grand nombre d’articles et de reportages sur des sujets de société et vantent souvent les mérites de la vie rêvée au Levant. C’est un moyen de copier les caractéristiques d’un État légitime, de s’auto-congratuler sur la réussite supposée du « modèle », qui permet à la fois de se rassurer et de montrer des villages Potemkine à ceux qui veulent bien y croire.

Un outil de dissimulation

Quand on n’a pas les moyens de restaurer une ruine, on la peint.

C’est une stratégie adoptée par Daesh, qui, en magnifiant son action par l’image et en surévaluant ses victoires sur le terrain, tente de dissimuler le fait que son emprise sur les territoires asservis ne fait que décroître, comme une peau de chagrin. Selon une analyse de la société américaine IHS3 (voir également notre ancien article ici), Daesh aurait perdu 12% de son territoire en Irak et en Syrie depuis janvier 2016. Palmyre et Fallouja sont les plus grandes défaites de l’organisation en 2016. 


Daesh cache sa faiblesse par un regain de communication d’intoxication, en tentant des diversions fortement médiatisées, comme sa supposée expansion en Asie, ou, plus tristement dramatique, par des attentats aveugles. Le terrorisme est l’arme du faible, pas celle d’un Etat assumé et rayonnant.

Est-ce que cette propagande, de plus en plus active, poussée à son paroxysme, ne serait pas un simple cache-misère, une preuve de plus que Daesh est aux abois, aux antipodes de la puissance inébranlable revendiquée ?

Sa politique de recherche de statut de marque déposée sera à terme un échec. A placer son combat sur le terrain de l'imaginaire, la marque commerciale DAESH® veut nous faire croire qu’elle se porte bien, mais la publicité mensongère finit toujours par se retourner contre son concepteur.

Et alors ?

Ces observations devraient amener à s’interroger tous ceux qui servent de relais, volontaire ou involontaire, à cette propagande. Les internautes qui facilitent la diffusion de ces supports ont un effet mécanique sur leur dissémination, même s’ils le font en vue de les critiquer. Ce n’est de toute façon pas la raison qui permettra de contrer un dispositif manipulatoire fondé sur des ressorts passionnels.

Toute cette propagande n’a vocation qu’à dissimuler la faiblesse et les aspirations très prosaïques de Daesh, à instrumentaliser les hommes et les cultures au profit de sa quête de puissance, qui est son seul et médiocre intérêt, à court terme.

Une raison de plus de ne pas craindre Daesh.


1 www.inaglobal.fr/presse/article/donne-daech-une-importance-mediatique-demesuree-8895
2 www.humeurs.be/tag/verviers/page/5/

 3.Press.ihs.com/press-release/aerospace-defense-security/islamic-state-caliphate-shrinks-further-12-percent-2016-ihs











1 commentaire:

  1. je découvre votre site ... j'y reviendrai même si il me semble sans activité pour 2017 mais les archives sont toujours d'actualités ! Bravo pour le contenu ...

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