« On
donne à Daesh une importance médiatique démesurée »,
Inaglobal
« La
philosophie nous enseigne à douter de ce qui nous paraît évident.
La propagande, au contraire, nous enseigne à accepter pour évident
ce dont il serait raisonnable de douter. »
Aldous
Huxley, Retour au
meilleur des mondes.
Les
messages de l’organisation terroriste ne se limitent pas à des
revendications ou des discours religieux mais font l’objet de
« produits » médiatiques dignes d’agences de marketing
ou de publicité, ce qui peut paraître curieux pour un groupe
paramilitaire qui se présente comme l’unique représentant sur
terre de la volonté et de la justice divines.
La
violence à outrance de ses productions, les moyens matériels et
humains alloués à ses sociétés de productions, comme "El
Hayat Media Center" ou « An Nûr Media », et à
leurs unités de reportage sur le terrain, copiées sur les « combat
camera teams »
des armées occidentales, sont révélateurs d’une réelle
politique de saturation de l’espace médiatique. Cette pratique
peut renvoyer à l’outil de destruction du libre-arbitre mis en
place par Joseph Goebbels au profit de l’idéologie nazie.
Notre attention est également
attirée par les codes utilisés dans les produits médiatiques de
Daesh similaire à ceux de l’Occident, contre lesquels
l’organisation se pose en opposition frontale. Ce paradoxe est à
noter et prend tout son sens si l’on admet que la propagande de
Daesh pourrait avoir pour cible première l’Occident, comme le
démontre l'utilisation de langues occidentales pour des publics
ciblés ou les mises en scènes dignes d’un péplum.
Soit,
admettons-le, Daesh a mis en place un outil de propagande à la
mesure de ses aspirations hégémoniques, mais quels sont les
enseignements que nous pouvons en tirer ? La mise en œuvre
d’une propagande orchestrée, structurée et dotée de moyens
conséquents est un outil dans lequel l’organisation n’aurait pas
investi si elle n’en attendait pas des effets en retour.
Un
outil d’appui aux combattants
L’obtention
d’un ascendant sur le terrain
Lors
de la prise de Mossoul en Irak en juin 2014, les hommes de Daesh
étaient moins nombreux que les policiers de la ville. Néanmoins, la
violence des images diffusées et l’horreur des supplices mis en
scène sur les réseaux sociaux ont terrorisé la population et les
forces de l’ordre, au point que les groupes armés de Daesh ont pu
prendre la ville sans rencontrer de résistance notable. Le rapport
de force a ainsi pu être inversé grâce aux effets bien réels de
l’horreur véhiculée par l’image.
Un
effet de sidération sur les opinions publiques
Dans
le même ordre d’idées, la violence et la cruauté des images,
mises en scène avec emphase, provoquent un état de choc chez le
spectateur et inoculent un germe de la défaite au sein des
démocraties qui s’opposent à l’organisation dite « État
islamique ».
Par
ailleurs, le principe des exécutions-spectacles est utilisé par
l’organisation terroriste afin de transmettre une idéologie de
l’obéissance et interdire tout doute sur la culpabilité du
supplicié. Elles ont vocation à dissuader
ceux qui pourraient s’opposer à la règle imposée, par la peur du
châtiment.
Bref,
c’est une forme de prise de pouvoir sur les opinions publiques
locales…
Un
outil de recrutement
« Le
dessin sur daesh refusé du Weekend », Les humeurs d’Oli
Les
techniques de combat de Daesh, faisant largement appel à l’usage
de chair à canon et de combattants-suicide, nécessitent par la
force des choses un renouvellement permanent des combattants, que
seule une stratégie cynique de recrutement de masse permet
d’obtenir.
Pour
celles et ceux qui rêvent d’aventure et d’action, la
présentation d’un Levant idéalisé, scénographié comme une
superproduction hollywoodienne, les incite à venir
combattre bien loin de la dure réalité du quotidien.
Les
films sont des vecteurs d'influence, d'attraction et de séduction
très efficaces. La
cause est présentée comme sacrée, alors qu’elle ne sert en
réalité que les intérêts très prosaïques de quelques
privilégiés du système. C’est une escroquerie intellectuelle qui
fonctionne comme ces lampes aux ultraviolets destinées à
électrocuter les insectes…
La
cible de Daesh n’est en aucun cas constituée par les érudits de
l’Islam, ni les intellectuels laïcs, qui fuient spontanément
cette hydre malade. Il s’agit davantage d’un terreau inculte en
quête de sens et d’action, en échec dans sa vie personnelle,
sociale et spirituelle, qui sera bien plus malléable et qui
acceptera plus facilement d’aller sacrifier sa vie dans un
attentat-suicide, après une préparation psychologique froidement
adaptée.
Des
vidéos, sonorisées par des nasheed - ces chants a
capella reconditionnés
pour correspondre à la représentation mentale de l’organisation -
et un discours idéologique superficiel qui se focalise sur l’aspect
ludique et festif du djihad, cherchent à obtenir un pouvoir
d’attraction fort sur des adolescents immatures. Les pulsions de
mort et les pulsions de vie s’entremêlent dans un ballet qui a
pour vocation de fasciner les futures recrues.
Daesh
a bien retenu la leçon de ces sectes qui recrutent des
laissés-pour-compte au moyen de sondages sur l’épanouissement
personnel. Cette machine à broyer les êtres a industrialisé le
processus en utilisant des moyens de diffusion de masse, comme les
réseaux sociaux.
Quelques
mystificateurs machiavéliques, confortablement installés dans des
territoires sous contrôle, utilisent des techniques de manipulation
des masses qui auraient fait pâlir les Nazis de jalousie.
Un
outil d’autojustification et de légitimation
Daesh
souhaite faire croire à sa toute-puissance, son invincibilité.
C’est
un des stigmates de la projection de l’égo démesuré de son chef,
calife autoproclamé à la place du calife, qui veut nous faire
croire qu’il transcende la réalité.
C’est
aussi un moyen de galvaniser ses propres troupes, de créer des
mythes artificiels et de les illustrer. Daesh détourne des versets
du Coran et utilise l’iconographie des figures politiques du monde
arabe médiéval pour les modeler à son avantage. Son exégèse
inavouée des textes sacrés lui permet de faire dire au Prophète ce
qui l’arrange et de récupérer à son profit l’image du cavalier
arabe guerrier et victorieux. Mais Daesh ne trompe personne…
Il
y a là une volonté de construire une véritable mythologie factice
au moyen de récits épiques fondateurs, de s’inscrire dans
l’imaginaire universel pour véhiculer un embryon de doctrine qui
fascinera les faibles.
Les
productions médiatiques de Daesh proposent aussi un grand nombre
d’articles et de reportages sur des sujets de société et vantent
souvent les mérites de la vie rêvée au Levant. C’est
un moyen de copier les
caractéristiques d’un État légitime, de s’auto-congratuler sur
la réussite supposée du « modèle », qui permet à la
fois de se rassurer et de montrer des villages Potemkine à ceux qui
veulent bien y croire.
Un
outil de dissimulation
Quand
on n’a pas les moyens de restaurer une ruine, on la peint.
C’est
une stratégie adoptée par Daesh, qui, en magnifiant son action par
l’image et en surévaluant ses victoires sur le terrain, tente de
dissimuler le fait que son emprise sur les territoires asservis ne
fait que décroître, comme une peau de chagrin. Selon une analyse de
la société américaine IHS
(voir également notre ancien article ici), Daesh aurait perdu 12% de
son territoire en Irak et en Syrie depuis janvier 2016. Palmyre et
Fallouja sont les plus grandes défaites de l’organisation en 2016.
Daesh
cache sa faiblesse par un regain de communication d’intoxication,
en tentant des diversions fortement médiatisées, comme sa supposée
expansion en Asie, ou, plus tristement dramatique, par des attentats
aveugles. Le terrorisme est l’arme du faible, pas celle d’un Etat
assumé et rayonnant.
Est-ce
que cette propagande, de plus en plus active, poussée à son
paroxysme, ne serait pas un simple cache-misère, une preuve de plus
que Daesh est aux abois, aux antipodes de la puissance inébranlable
revendiquée ?
Sa
politique de recherche de statut de marque déposée sera à terme un
échec. A placer son combat sur le terrain de l'imaginaire, la marque
commerciale DAESH® veut nous faire croire qu’elle se porte bien,
mais la publicité mensongère finit toujours par se retourner contre
son concepteur.
Et
alors ?
Ces
observations devraient amener à s’interroger tous ceux qui servent
de relais, volontaire ou involontaire, à cette propagande. Les
internautes qui facilitent la diffusion de ces supports ont un effet
mécanique sur leur dissémination, même s’ils le font en vue de
les critiquer. Ce n’est de toute façon pas la raison qui permettra
de contrer un dispositif manipulatoire fondé sur des ressorts
passionnels.
Toute
cette propagande n’a vocation qu’à dissimuler la faiblesse et
les aspirations très prosaïques de Daesh, à instrumentaliser les
hommes et les cultures au profit de sa quête de puissance, qui est
son seul et médiocre intérêt, à court terme.
Une
raison de plus de ne pas craindre Daesh.