« Partir
en Syrie, c’est tenter d’exister ailleurs »1.
Un leurre rattrapé par la réalité du terrain.
De nombreux étrangers partis rejoindre l’organisation terroriste
sont aujourd’hui désillusionnés et tentent de fuir les lignes de
front2.
Le mythe du Moudjahid véhiculé par la propagande de Daesh
s’effondre peu à peu. « Le mensonge comme l’huile
flotte à la surface de la vérité »3
et l’idéal tant revendiqué par les soldats du califat se
confronte aujourd’hui aux limites de la réalité.
L’interview réalisée et menée par le journaliste Bilal
Abdulkareem sur la chaine Youtube « Face the Truth »,
nous offre la vision d’un ex-membre de Daesh, Abu Mohammed, ayant
fui l’organisation terroriste. La Mécanique Daesh vous propose
d’écouter deux extraits poignants, montrant qu’une
vérité accommodante n’est autre qu’une vérité accommodée.
Ainsi, les discours politiques sont en décalage avec les actes. Et
les témoignages des déserteurs mettent en lumière l’écart entre
l’espoir fondé sur une communauté musulmane fantasmée et
sublimée par les cadres de Daesh, et la réalité du terrain.
Nombreux sont les membres de cette organisation qui ne souhaitent pas
participer aux querelles intestines entre les milices djihadistes.
D’autres font état de discriminations raciales entre combattants
et d’abus de pouvoir de certains groupes : « Des
déserteurs soulignent encore une fois l’écart vertigineux entre
les attentes et la réalité. En fait, 8,5 % de tous ceux qui ont
quitté le groupe citent les tensions ethniques ou raciales comme
motif de leur départ. Un certain nombre de combattants ont expliqué,
par exemple, comment ils avaient l’impression que certains groupes
jouissaient de privilèges et comment le groupe auquel ils
appartenaient était utilisé comme de la simple chair à canon »4.
Pour les autres, ils sont écœurés par la sauvagerie de
l’organisation et « son mépris de la vie humaine ». Le
témoignage d’Ali, repenti de Daesh, éclaire en ce sens les
exactions commises par la Hisbah (police religieuse) à l’égard de
la population. En guise d’avertissement, elle aurait exposé durant
plusieurs semaines le cadavre d’un « jeune de 14 ans égorgé
au prétexte qu’il avait arrêté la prière »5.
Selon l’étude menée par le Service Canadien du Renseignement de
Sécurité (SCRS), plus de 21 % des déserteurs signalent « la
corruption et la barbarie » comme motif de leur départ. Saddam
Jamal, combattant syrien ayant rejoint l’Etat islamique avant de
faire défection, soulignait les atrocités commises à l’égard de
la population : «
Ils détruisent sans le moindre scrupule un immeuble entier rempli de
femmes et d’enfants pour tuer une seule personne ». Pour un autre
combattant, tuer serait devenu un plaisir malsain, d’une violence
extrême : « Ce n’est ni une révolution, ni un djihad, mais
bien un massacre ». David Thomson, journaliste à RFI, fait
également état de la légitimité de la violence au sein de la
matrice Daesh : « un djihadiste issu de la grande
délinquance, qui avait déjà du sang sur les mains avant de se
convertir, me disait même que son passé en tant que criminel le
renforçait dans sa vérité, dans la mesure où ce passé le
rapprochait des compagnons du Prophète Mohammed, passés de la
violence séculaire à la violence religieuse. Cette personne a
intégré la police islamique, et il m’a un jour confié qu’il
prenait du plaisir à tuer des gens. Dans son cas, le djihadisme lui
a permis de légitimer sa violence, il lui a offert une raison
d’assouvir totalement ses pulsions meurtrières »6.
Lâches
et désespérés, les écorchés vifs du califat sont confrontés à
leurs malheurs
Mais la désillusion ne s’arrête pas là. Acculés par les frappes
de la coalition, les soldats de l’organisation terroriste sont
touchés aussi bien sur le terrain qu’au portefeuille. Perte de
territoire, augmentation des impôts, baisse des salaires et
conditions de vie de plus en plus difficiles, les combattants de
Daesh ont perdu en motivation et en vitalité. Le moral des troupes
est aujourd’hui au plus bas. Cette constatation est notamment liée
à l’augmentation du nombre de djihadistes fuyants les rangs de
l’Etat islamique. « On assiste à une augmentation du nombre
de désertions, à une baisse de moral. On voit qu’ils ne peuvent
plus payer. On les voit essayer de quitter Daesh » assure le
général américain Peter Gersten7.
Selon lui, le nombre de soldats étrangers voulant rejoindre
l’organisation terroriste aurait chuté d’environ 90% : de
« 1.500 à 2.000 » soldats chaque mois il y a un an,
Daesh comptabiliserait « environ 200 » recrues
aujourd’hui.
Et pour cause, les réalités du terrain ne donnent pas envie aux
recrues étrangères tentées par le djihad de partir au Sham.
La vidéo, postée le 27 avril sur Youtube par le site numérique
d’informations Vice News, dépeint une réalité gênante
que les djihadistes se gardent de dévoiler. Ces images de guerre,
filmées à l’aide d’une caméra GoPro par un combattant
de Daesh, font état de l’incapacité de ces soldats à combattre
et mettent en lumière des conditions opérationnelles déplorables.
Enervement, stress, gestes imprécis, cet amateurisme fait plus
particulièrement écho au manque de préparation militaire des
« soi-disant » soldats. Sans aucun entraînement, ni même
un matériel et un équipement adéquats, leur incompétence est ici
criante.
Face à tant d’ignorance et d’improvisation, les combattants
n’ont d’autre recourt que de faire de faux certificats médicaux
pour éviter d’aller au combat8.
Cette pratique aurait pris des proportions telles qu’elle aurait
fait l’objet de mises en garde par les cadres de Daesh : « Aux
frères médecins […] nous rappelons qu’une attestation médicale
est l’équivalent d’un témoignage et que tout médecin qui
écrira de faux documents devra rendre des comptes »9.
Nous sommes loin de l’image du vaillant soldat que véhiculent les
messages de propagande. Le manque de courage souligne la faiblesse
morale et psychologique du combattant. Le rêve initial de la jeune
recrue s’effondre et ses idéaux peu fondés se volatilisent…
Courage, fuyons !
Et pourtant, ce n’est pas faute de doper les troupes pour en faire
des machines de guerre passives et obéissantes. La prise de
Captagon10
par les combattants de Daesh est une pratique courante. L’objectif
recherché ? Faire de ces êtres humains des moutons, adoptant
une attitude résolument décidée, dénuée de morale et d’états
d’âme. Drogués et déphasés, les combattants éprouvent une
euphorie intense qui leur permet de ne ressentir ni peur ni douleur
et d’adopter un comportement mécanique et déshumanisé. Faisant
partie de la famille des amphétamines, cette drogue stimule la
production de dopamine et améliore la concentration. Le Pr Jean-Pol
Tassin détaillait à Science et Avenir11
que le Captagon « entraîne une résistance à la fatigue,
une vigilance accrue et une perte de jugement. Elle donne
l’impression à celui qui la consomme d’être tout puissant,
d’être le roi du monde ». Une fois de plus, la
dissension entre l’image du valeureux guerrier islamique que
prétendent être les djihadistes et celle d’un simple camé se
donnant du courage avant de partir au front, est flagrante.
Tout ceci constitue des éléments permettant de montrer que la
propagande n’est pas la réalité, mais bien un outil de
manipulation. La désillusion gagne les cerveaux, les jeunes recrues
s’aperçoivent qu’elles ont été bernées. Il ne reste que les
larmes, le chagrin et la peur. Le Califat d’al-Baghdadi est loin
d’offrir une société harmonieuse et égalitaire. Les cadres de
l’Etat islamique sont perçus par ses membres comme « corrompus,
hypocrites et indifférents face à la souffrance »12
et n’hésitent pas à corriger sévèrement les soldats voulant
fuir. Fortement réprimés par les dirigeants de l’EI, les
désertions et les séditions sont considérées comme une haute
trahison faite à la Dawla (l’Etat). De la prison à
l’exécution, des châtiments sont réservés aux membres de
l’organisation islamique voulant sauver leur peau des batailles
perdues d’avance.
Endoctrinés, drogués et utilisés comme de la chair à canon, les
soldats du califat ne sont que les exécutants de chefs incapables de
les guider au combat. On a coutume de dire qu’un soldat est à
l’image de son chef. Quelle est donc la vraie nature de ces
chefs-là ?
1
www.neonmag.fr « Moi,
Mourad, ancien djihadiste », 26 novembre 2015. 2
Al-Qaïda, l’EIIL
et leurs héritiers,
Service Canadien du renseignement de sécurité, mai 2016, page 91 à
96. 3
Henryk Slenkiewicz
4
Ibid. 5
BFM TV, Jihad :
déçu par Daesh, il se livre à la police française à son retour
de Syrie, 27
juillet 2015. 6
www.nonfiction.fr, entretien
avec David Thomson, « Tuer pour exister, et mourir »7
20 Minutes, Les
combattants de Daesh se font porter pâles pour éviter d’aller au
front, 28 avril
2016. 8
Ibid. 9
Ibid. 10
Drogue de synthèse dérivée de l’amphétamine 11
Lise Loumé, Qu’est-ce
que le captagon, la drogue des djihadistes ?,
Science et Avenir, le 17 novembre 2015. 12
Ibid.
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