Notre société postmoderne s'inscrit au sein d'une culture dominante de l'image qui a remplacé celle du texte écrit dans laquelle l'existence de toute entité est conditionnée par sa visibilité. Utilisant ce principe, Daesh s'est habilement glissé dans le costume de la terreur face au public occidental et dans celui moins connu de la bienfaisance face au public syrien et irakien. Cette bienfaisance factice mise en image sous le jour de l'action sociale est un leurre visant à asseoir une autorité vis-à-vis des populations dont le soutien est nécessaire à la réussite de l'expansion programmée du Califat.
Utiliser l'image, créer un mythe, séduire les masses
Pénétrant la médiasphère grâce à la porte 2.0, Daech inonde le monde de ses productions audiovisuelles sans aucune limite, adoptant entre autre, la Cultivation Theory (Théorie de la culture) développée à partir de la fin des années 1950 par le professeur George Gerbner1 qui tend à démontrer que les grands consommateurs de télévision ont une vision du monde qui reflète celle des médias.
Bien que l'Image ne soit pas la Réalité, elle le devient pourtant à travers la représentation cognitive véhiculée par Daech.
Ainsi, se forme à travers l'image qu'il diffuse et la mythologie iconographique mise en scène un discours binaire réduisant le monde à eux, détenteurs de la vérité, et nous qui sommes la source de leurs humiliations. Rien de très novateur cependant, car dès la première moitié du XXème siècle, l'utilisation de l'image comme arme de persuasion massive est prise en compte par les leaders d'opinion ou dirigeants gouvernementaux.
Lors du XIIIème congrès du Parti en 1924, Staline déclarait: "Le cinéma est le plus efficace outil pour l'agitation des masses. Notre seul problème, c'est de savoir tenir cet outil bien en main."2.
Aux yeux d'Hitler, l'art et le cinéma plus précisément doivent être utilisés en priorité: "L'art doit consister à attirer l'attention de la multitude [...] son action doit toujours faire appel au sentiment et très peu à la raison [...]. L'image, sous toutes ses formes, jusqu'au film, a encore plus de pouvoir sous ce rapport. Là, l'homme doit encore moins faire intervenir sa raison; il lui suffit de regarder et de lire, tout au plus les textes les plus courts."3.
Le psychologue Jean-Léon Beauvois aborde et développe ce concept de manipulation médiatique sous le terme de propagande glauque dans son ouvrage publié en 2011 Les influences sournoises 4. Il y démontre entre autre que "Ce type de propagande vise à influencer intentionnellement sans que les personnes en aient conscience."5.
Ces théories prennent vie à travers l'action médiatique menée par certains dictateurs mais également par les organisations terroristes. En ce début de XXIème siècle, la création d'un mythe à des fins d'hégémonie a été menée avec succès par les cellules média de Ben Laden comme le souligne Abdelasiem El Difraoui6 :"Ils ont ainsi créé un langage visuel et symbolique complètement novateur dans l'islam qui est aujourd'hui reconnu, dans une certaine mesure, par la plupart des musulmans. L'étendard noir et l'épée de l'islam, pour ne citer que ces deux symboles, sont ainsi aujourd'hui reconnus presque universellement comme les emblèmes du jihad, et Ben Laden a le statut d'îcone planétaire." Cependant, la diffusion de la propagande d'Al-Qaida, qui utilisait des cassettes vidéo échangées sous le manteau et la télévision comme vecteur principal, était limitée par la longueur de la propagation et la censure des états occidentaux. Exploitant l'avènement des réseaux sociaux, Daech a élargi la ligne de front ancrée dans l'espace réel des combats et des attentats à celle de l'espace virtuel cybernétique mettant en oeuvre les techniques de la guerre psychologique.
A suivre: Guerre de terrain, guerre de perceptions
1 - George Gerbner (1919-2005) postule que la télévision formate notre perception du monde et supplante la religion ou la culture comme vecteur de valeurs. Il s'intéresse plus particulièrement à la violence véhiculée par les médias. http://web.asc.upenn.edu/gerbner/archive.aspx?sectionID=18
2 - Jay Leyda et Claude-Henri Rochat, Kino Histoire du Cinéma Russe et Soviétique, Paris, L'âge d'homme, 1976, p.198.
3 - Adelin Guyot et Patrick Restellini, L'art nazi: un art de propagande, Editions complexes, 1996.
4 - Jean-Léon Beauvois, Les influences sournoises: Précis de manipulation ordinaire, Paris, François Bourin Editeur, 2011.
5 - Didier Courbet, "Jean-léon Beauvois, Les influences sournoises. Précis de manipulation ordinaires"; Questions de communication [en ligne], 21|2012, mis en ligne le 01 septembre 2014, consulté le 02 juin 2015. URL:http://questions de communication.revues.org/6749
6 - Abdelasiem El Difraoui, Al-Qaïda par l'image: la prophétie du martyre, Paris, PUF, 2013, p.390.
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