La renommée de Daesh
entraine de plus en plus de médias et d’experts en communication à
chercher à comprendre les rouages de la propagande de ce groupe
terroriste. La Mécanique Daesh propose aujourd’hui de mettre en
lumière un pan de la communication du groupe encore peu discuté :
la manipulation des esprits.
A l’instar des
marques les plus charismatiques telles qu’Apple®, Nike® ou encore
Coca-Cola®, la marque « Daesh » cultive une
communication bien rodée et efficace. Cette dernière lui permet à
la fois de se construire une réelle identité et de donner
naissance à une communauté qui correspond au nouvel univers qu’elle
entend créer.
L’objectif de
communication du groupe est simple : terroriser tout en
crédibilisant ses actions dans le but d’instaurer un « califat ».
Daesh a bien compris que la guerre se conduit et se gagne dans les
cœurs et plus particulièrement dans les esprits. Dans « L’Art
de la Guerre », Sun Tzu soulignait déjà la dimension
psychologique d’un conflit en indiquant notamment que l’analyse
des faiblesses de l’ennemi constitue en soi une tactique
guerrière. Partant de ce constat, nous ne pouvons nier la maîtrise
dont fait preuve Daesh face à ces techniques de manipulation. Ne pas
prendre en compte cet aspect-là conduirait à occulter un des
ressorts utilisés par l’organisation, celui d’une action
systématique exercée sur ses cibles afin de lui faire accepter sa
conception du monde.
La propagande Daesh
fascine autant qu’elle terrorise
Le succès que
rencontre cette propagande n’est que le fruit de l’utilisation
judicieuse de méthodes primordiales en communication : une
évaluation de l’environnement physique, communicationnel et
psychologique, une excellente connaissance des cibles et de leurs
attentes, une maîtrise technique des outils et des codes esthétiques
et l’élaboration d’un plan média. Le travail des
concepteurs/rédacteurs, comme on les appelle en agences de
communication, s’en trouve d’autant plus simplifié que les
médias jouent le rôle de caisse de résonnance. Loin des campagnes
surannées d’Al-Qaïda mettant en image des barbus enturbannés,
les artistes de l’horreur ont repensé leur approche : devenir
accessible aux non-initiés notamment au travers du langage et de la
distorsion du religieux, établir un processus
d’identification/d’appartenance, et instiller la crainte et la
terreur dans le monde. La déduction des cibles se fait donc
naturellement.
La
première cible fait référence aux personnes susceptibles de venir
grossir les rangs du groupe. Souvent en manque de reconnaissance et
d’appartenance, la cible présente des besoins multiples,
fréquemment lié à son sexe. Les décapitations, les exécutions et
la conquête de territoires selon un style hollywoodien font figure
d’épopée pour les hommes. Quant aux femmes, elles cherchent à
s’accomplir en tant qu’épouse et mère au sein d’un foyer
conforme à leur foi, et auprès d’un mari bon musulman se battant
et mourant pour les valeurs du califat.
En
s’adressant à leurs publics en utilisant leur propre langage
culturel, les marionnettistes de l’épouvante exploitent la terreur
populaire pour en faire le dernier produit « tendance ».
Ils créent un sentiment d’appartenance par le biais de codes et de
règles iconographiques qui amènent ces cibles à devenir des
« adeptes », des « accros » de la marque.
Daesh vend une identité, un mode de vie, une existence. De manière
plus poussée, au travers de la violence, de la terreur et de la
mort, l’organisation arrive à faire naître la vie et l’existence
du soi. Tuer au nom d’un idéal religieux fascine car, en fin de
compte, la contemplation et l’administration de la mort ne
serait-il pas un bon moyen pour se sentir vivre et exister ?
La
seconde cible est celle que Daesh souhaite maintenir dans la
sidération. L’objectif est d’éveiller et d’entretenir une
forme d’effroi face aux horreurs incompréhensibles diffusées sur
la toile et commises dans nos rues. Les attentats qui ont bouleversé
notre pays sont en soi un acte de propagande visant à magnifier
l’ère du djihad. Le but étant d’entretenir la cible que nous
sommes dans un état de tension inconfortable et de soumission. Le
discours permet d’une part de construire du sens, donc des valeurs,
une idéologie à suivre et la violence, quant à elle, est
rationnalisée par le discours. Daesh passe par la communication et
les actes de violence afin d’introduire un rapport de domination
vis-à-vis des populations ciblées. Les informations sont traitées
au prisme d’émotions fortes imprimant durablement les mémoires et
les esprits.
Changer
la vision de la réalité quotidienne
A
l’instar d’une pièce de théâtrale mettant en forme
l’imagination d’un metteur en scène, Daesh articule sa
propagande dans le temps et dans l’espace à partir d’une réalité
imaginaire qui puise sa véracité dans la réalité quotidienne. Par
le biais des émotions, le groupe met en place une réalité fictive
ayant pour but l’adhésion positive ou négative d’un spectateur.
En
psychologie cognitive, les représentations mentales sont le résultat
cognitif d’un traitement intellectuel et d’une perception de
l’environnement. Le système dynamique « cognition-environnement »
s’autoalimente et permet à l’individu de se faire une idée du
monde qui l’entoure. Ces représentations sont donc définies comme
étant un savoir, une connaissance sur une personne, un objet, un
événement ou encore un symbole.
Notre cerveau ne cesse de produire des interprétations, qui,
aussitôt acquises, se dressent et s’élaborent en croyances. Les
représentations ci-dessous, qui sont au confluent des sens et de la
mémoire, nous donnent un aperçu des représentations que peut se
faire du mot « islam » un croyant modéré et un
croyant extrémiste :
Les
« cartes mentales » peuvent par ailleurs être utilisées
au profit de la propagande en ce sens où elles représentent les
connexions sémantiques entre différentes idées et les liens
hiérarchiques entre différents concepts. La communication et le
marketing s’appuient cette technique afin de décortiquer, de façon
minutieuse, les comparaisons, évaluations, associations et
combinaisons qu’effectue notre cerveau.
Les
règles et les codes de la communication de Daesh sont autant de
matériaux qui amèneront les individus à une cohérence interne
afin de donner à la représentation une réalité efficiente.
L’adhésion de l’individu amène le sujet à se repositionner
face à sa réalité quotidienne. Pour Yannick Bressan, docteur en
sciences humaine et chercheur en neuropsychologie cognitive et en
cyber-narration, « Le sujet-dissonant, en état
d’instabilité psychique, sera ainsi amené via un message (ou une
action) savamment écrit et mis en scène à faire émerger par
« l’adhésion émergentiste », une autre réalité
(construire de toute pièce par le créateur du message) qui pourra
totalement ou en partie se substituer à la réalité quotidienne du
spectateur. « L’individu dissonant » trouvera ainsi,
dans la réalité émergente qui a été construite à cet effet, une
forme de (ré) confort dont l’esprit humain a besoin pour
fonctionner correctement »1.
Daesh
s’évertue donc à transcender la réalité afin d’orienter le
spectateur vers un état suggestible2.
Cet état de conscience modifiée permet d’impliquer l’imaginaire
de la cible, de revisiter la réalité et la façon dont il la
perçoit pour aboutir à l’adhésion et à la création de
nouvelles croyances. « Tout cela concourt à transformer
l’horreur de l’exécution en un grand spectacle déréalisé
mais qui conserve malgré tout la force et la sauvagerie du réel »3.
Bibliographie :
BERNOUSSI
Mohamed, FLORIN Agnès, « La notion de représentation :
de la psychologie générale à la psychologie sociale et la
psychologie du développement », Persée, 1995.
DURANDIN
Guy, « L’information, La désinformation et la réalité »,
ED. Presses Universitaires de France, coll. Le Psychologue, juin
1993.
CHOMSKE
Noam, HERMAN Edward, « La fabrication du consentement »,
Agone, 2008.
FREUD
Sigmund, « Pulsions et destins des pulsions », Ed.
Presses Universitaires de France, 2010.
GRAU
MARTENET Christiane, « Coacher avec la PNL », Chronique
Sociale, 2012.
GREEN
André, « Pourquoi les pulsions de destruction ou de mort ? »,
Ithaque, 2010.
TZU
Sun, « L’art de la guerre », Flammarion, 2006.
WATZLAWICK
Paul, « La réalité de la réalité – Confusion,
désinformation, communication », Poche, Avril 1984.
www.oumatv.tv,
« En Islam, la vie est sacrée ! », 30 novembre
2015.
www.mediapart.fr,
« Les rouages de la communication terroriste : comment
comprendre les enjeux de la peur ?», Novembre 2015.
1
BRESSAN Yannick, « Daesh ou le théâtre de la mort : le
pouvoir de la mise en scène dans la communication de l’Etat
Islamique », CF2R, Note de réflexion n°18, avril 2015.
2
Définition www.cnrtl.fr : « Disposition
psychique à se soumettre à toute suggestion. Caractère de celui
qui se laisse influencer par une image, par une suggestion venue de
l’extérieur. »
3
Op cit.